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La Jeunesse de la Bête

Publié le par beyondthewallofsleep.over-blog.com

dvd115.jpgLa fiche précédente parlait d'un film japonais sorti tout droit des studios de la Toei, et cette fois-ci, nous allons faire un tour du côté d'un concurrent, la Nikkatsu, spécialiste à l'époque (années 60) des yakusa-eiga, c'est à dire films de série B gravitant dans l'univers ultra-balisé de la célèbre pègre japonaise.
La Nikkatsu imposait un rythme de travail harrassant (3 à 4 films par an et par réalisateur !), une durée invariable (regardez : les trois films du premier coffret sorti chez HK Video font chacun 87 mn) et des acteurs sous contrat qui étaient listés. Et en parlant d'acteur, le réalisateur Seijun Suzuki va retrouver dans La Jeunesse de la Bête son acteur fétiche aux étranges bajoues, Joe Shishido.
Déjà réalisateur du film Detective Bureau 2-3, qui relatait les premières aventures du détective Tajima, Suzuki va donc à nouveau investir l'univers à la fois sombre et coloré des yakusas, entraînant son héros dans une spirale vengeresse. L'histoire rappelle parfois celle du fil de Kurosawa, Yojimbo, sorti l'an passé en 1961, dans laquelle un ronin va dresser deux bandes rivales l'une contre l'autre (et on sait ce qu'en fera Sergio Leone), mais nous allons en fait apprendre au fil des bobines que Tajima a pour seul but de venger l'un de ses collègues.
Le héros jonglera avec plaisir et violence dans cet univers machiste (la société japonaise, encore une fois), avant de se rendre compte qu'une femme était derrière tout ça !
Nous sommes ici au coeur d'une série B comme je les affectionne : peu de moyens, tournée dans l'urgence, mais bourrée d'idées montrant que l'on peut faire beaucoup avec pas grand chose. Et le film de s'ouvrir sur une scène en noir et blanc, montrant deux cadavres effacés par l'image d'une fleur à la couleur éclatante. Déferlement de couleurs ensuite, celles du Japon moderne et du Scope délirant de l'époque. Et déferlement de violence aussi, montrant que tout peut se régler par les poings, même la communication la plus basique.
La scène peut-être la plus folle du film est celle où le détective, qui vient de réussir à s'introduire auprès des chefs de l'un des gangs qu'il a choisi d'infiltrer, tabasse un pauvre second couteau lui ayant manqué de respect dans le dos de ses futurs employeurs, et devant une vitre sans tain derrière laquelle on voit un restaurant très animé, avec danseuse de cabaret vétue de plumes gigantesques roses : image d'une société de consommation insouciante et de la violence qui la dirige en secret. Les paradoxes seront légion, comme cette scène surréaliste d'un chef de gang hystérique qui fouettera sa femme avec violence avant de lui faire l'amour au fond du jardin, dans le nimbe d'un nuage de poussière coloré. Il y aura aussi l'opposition des deux gangs, l'un fonctionnant à l'ancienne et l'autre nourri d'images modernes (fétichisme naïf des armes et dialogue devant des projections de films européens et japonais).
Tout se terminera par la découverte du rôle de la femme cachée derrière tout cela : et voilà, tout est laché : la femme est celle qui tirait les ficelles, celle qui fut la cause de toutes les morts du film, des péchés de l'homme en général. Le héros ne se débarrassera pas d'elle directement, il la laissera entre les mains de cet homosexuel refoulé qui taillade les visages en défendant l'honneur de sa mère, femme idéalisée qui n'était pourtant qu'une putain !
Mais il ne sert à rien de décrire la folie créative de certaines scènes, il faut voir le film en son entier pour le croire, et rendre à Suzuki le génie qui est le sien. Et que de chez d'oeuvres à venir encore chez lui !!!

Stéphane DELURE

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