DSM... L'Elévation...
C'est étrange... ma main s'approche... ça tranche, je le sens... ça brûle comme le feu... ça pique jusqu'au sang... ça brûle comme la glace d'un monde lointain...
Comment diable aborder un tel album ? Voilà bien une question que je me suis longtemps posé avant d'entamer ma chronique, et puis j'ai eu la vision du centre d'un typhon. Vous savez, cet endroit anormalement calme, rivé au centre de la plus formidable des tempêtes, là où règne un silence terrifiant alors qu'au delà d'une certaine limite tout n'est plus que chaos... Vous êtes donc au sein de la tempête... c'est bien ça... sauf que vous vous êtes hélas imprudemment éloigné du centre, de cet endroit sécurisant, bien trop éloigné... et la tornade vous a impitoyablement avalé, gobé dans sa substance erratique. Votre colonne vertébrale est violemment disloquée, vos os sont cassés, broyés, transpercent votre chair qui se déchire, vos tendons qui cèdent sous la pression et s'arrachent en d'horribles claquements, la douleur est infinie et vous n'avez plus aucune maîtrise, faisant de vous un pantin sans maître qui hurle, tombe et monte dans le vent.
DSM. Trois lettres. Delicate Sound of Murder. On pourrait également y voir une référence à un autre acronyme, tout aussi anglo-saxon, faisant référence en matière de classement des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manuel of mental disorders). La première définition convenait parfaitement une fois digérée l'écoute du premier opus éponyme, sorti en 2017, un disque frontal, massif et bien plus marqué par son côté death primal (growls ravageurs et screams stridents vous y torturaient l'esprit en vous communiquant au passage quelques envies de meurtre... ah, la terrible machine à broyer les cervicales qu'est 2029, saupoudrée d'un groove digne de Pantera période Far Beyond Driven !). Un pavé dans la tronche sacrément alambiqué, plein de ruptures de tons et de syncopes propres au post-death, genre dont le groupe se revendique, étiquette totalement justifiée tant l'objet était complexe et déstructuré. Pas vraiment facile à appréhender, comme une scène de meurtre façon artwork de Cannibal Corpse (Dexter, le tueur en série de tueurs en série, spécialiste de la lecture des taches de sang, a essayé, il est devenu encore plus fou qu'avant !).
Avec Elévations, le groupe de Saint-Dizier étoffe sa musique tout en la simplifiant, et vise la seconde définition suggérée, car ici ne règne que folie. Encore plus post-death ? Pas évident, et après tout, le groupe s'en fiche, livrant ses émotions au travers de son propre univers. Alors oui, le post death est peut-être le terme qui convient le mieux pour ceux qui aiment les bornes, ranger dans des tiroirs, car les pistes sont brouillées, les chemins sont tortueux et une fulgurance peut à tout instant faire partir le morceau dans une autre direction. C'est lourd à vous écraser, et d'un coup ça s'échappe comme une anguille. Un peu d'indus ici, une louche de thrash par là, tout est permis du moment que cela sert le morceau et épaissit la sauce. Quant au chant de Max, il quitte de plus en plus le growl propre au death pour s'écorcher comme un damné sur une plainte nettement plus hardcore, renforçant le terrible malaise que le groupe a décidé de nous communiquer. Post death oblige, point de solo de guitare, mais un assemblage de riffs de guitare et de basse faisant passer les assemblements anarchiques du Centre Beaubourg pour une autoroute rectiligne. Et cette batterie qui frappe, cinglante, mesurée, donnant du blast quand elle le décide avant de se calmer soudain, pour prendre encore plus d'épaisseur, revêtir soudain plus de noirceur, quel plaisir. Et dans cet ensemble massif, tout en riffs, hurlements schizophréniques, et cognées d'un régiment de bûcherons, retentit une cymbale, accessoire de la batterie que je n'aime pas d'ordinaire (Nicko McBrain, je te hais ! tu as pour moi gâché bien des morceaux de la Vierge de Fer en abusant des cymbales), petit fanal permettant de trouver un peu de lumière, poser un repère positif en cet amas de ténèbres. Et le mot "fanal" (troisième titre de l'opus) nous amène inexorablement aux textes, aux mots, si précieux chez DSM car choisis avec soin et hurlés en français. Bon, il est vrai qu'il vaut mieux posséder comme moi le livret pour s'y retrouver tant le chant est écorché et le mix parfois approximatif (c'est une autoproduction, mais de qualité). Rien n'est laissé au hasard et tout a été choisi, le groupe abordant avec dextérité des sujets qui lui sont chers, abordés de façon cryptique, car tout effort se mérite. Infini, Vague, Le Sang de l'Astre, vont nous amener sur les rivages du temps, dans l'immensité de l'espace, à la limite de nos connaissances. Mais toujours existera cette lumière, ce fanal permettant de nous guider, même si c'est pour le pire. Anatar est un cri de rage pure ouvrant l'opus, et si l'on est attentif, on entend retentir d'une voix démentielle (très marquant après cet original break de silence) : Je Suis Sauron ! Et si l'on est un peu féru de Tolkien, on peut se souvenir qu'au cours du Deuxième Âge, Annatar était le nom que Sauron prit pour séduire les forgerons d'Eregion. "Le Dispensateur" obtînt ainsi les anneaux dont il se servit pour corrompre nains, hommes et elfes, et forgea le sien propre, qui allait les lier tous. Sauron. L'œil qui voit tout. Le faisceau qui attire le mal tel un aimant, même au sein du cœur du plus pur des êtres de la Terre du Milieu.
Alors oui, il faut plusieurs écoutes pour un tant soit peu maîtriser cet anneau de pouvoir, car il est chargé d'énergie brute, d'instants magiques, qu'une écoute distraite ne permettra jamais de saisir. Mais si l'on est attentif, au sein de cette fureur, de ce bruit d'une rare intensité, on voit se dessiner peu à peu les détails du cristal noir, et de nouvelles branches d'un flocon noir apparaître, comme observées sous la loupe d'un microscope. Et l'univers fini devient infini, les couches se déplient, se dévoilent, et apparaissent d'autres mondes. Le titre éponyme, fort de ses 8mn30, est à ce titre évocateur. Pas un instant de répit, pas une seconde non réfléchie, malgré l'ambiance de chaos ambiant. Tout est pesé, comme ce bruit de ressac qui ouvre paisiblement le superbe Vague, avec ce riff de basse qui monte et enfle comme une ombre de Mastodon, avant d'exploser sur quelque chose de beaucoup plus rugueux, brisant son rythme par l'art de la syncope, enrichissant sa structure par un flot de riffs et une batterie en fusion. Et puis il y a L'Absence, avec son ouverture au violon, fort d'un clip financé par la campagne Ulule (cerise sur le gâteau, avec le superbe artwork de Jeff Grimal, le groupe ayant autofinancé l'essentiel de l'album), clip empli de regards, de gestes étranges dignes des bizarreries d'un David Lynch. Pour ajouter de la féérie, de la lumière à ce morceau pourtant sombre, attiser l'oxymore, le groupe a invité le chœur d'enfants du Conservatoire de Saint-Dizier. Bien belle idée, superbe titre déchirant, auquel chacun pourra trouver un sens.
Et pour terminer, je finirai sur l'imperceptible de cet album, la beauté de ses textes, chantés certes en français mais difficilement compréhensibles tant le chant hurlé est écorché, habité, à vif. Passer à côté d'un texte comme L'Infini serait un péché tant les mots sont savamment agencés, et tout simplement beaux. Car derrière la noirceur, il y a de la poésie, comme cette sphère de lumière pure, de vie, que l'on peut voir dans le clip L'Absence, orbe de connaissance, âme pure en devenir, monde en puissance.

D'aucuns reprocheront les limites de l'autoproduction, le niveau supérieur de puissance à côté duquel est peut être passé le groupe. Faux débat selon moi. La puissance est déjà là, brute, non formatée (tout mouvement "post" a à voir avec le mouvement alternatif, rejetant les studios). Et peut être qu'un jour, si le destin et DSM le veulent bien, le monde pénétrera dans une autre sphère. Mais cela est une autre histoire. DSM aime les contrastes et n'a pas peur de surprendre, donc, l'avenir, quel qu'il soit, sera forcément radieux !

Bandcamp

l'elevation

DSM - Elévations (27 mars 2020)