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Insights - Lemur Voice (1996)

Publié le par Mordhogor

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Lémurie, continent de légende qui aurait sombré sous les eaux de l'Océan Indien, il y a des milliers d'années. A l'image de l'Atlantide ou de Mu, ce mythique ilot de civilisation traîne avec lui un vaste imaginaire enflammant les esprits.

Et nul doute que les hollandais dont je vais vous parler ont trouvé quelque chose dans ce peuple de légende qui leur servit de muse, même s'il faut avant tout préciser ici que le groupe, formé en 1993, avait tout d'abord pris pour nom celui d'Aura, emblème un peu trop banal et qui entretenait trop de confusions avec d'autres formations existantes.

Lemur Voice est emmené par des musiciens de talent, et je pense tout particulièrement au batteur, Nathan van de Wouw, responsable à la fois des textes et des arrangements forcément complexes inhérents au metal progressif, ainsi qu'au chanteur Gregoor van der Loo, dont le travail d'interprétation est tout à fait remarquable. Certainement pas la plus belle voix du genre, mais l'artiste offre une façon toute particulière de moduler et de jouer sur les harmonies qui personnellement m'a séduit d'emblée, et ce dès le premier morceau dont je vous propose l'écoute, Intuition, texte qui pousse chacun à prendre confiance en soi, à exploiter son potentiel de façon positive. Ce morceau reste d'ailleurs pour moi celui qui m'a le plus marqué, et ce dès sa première écoute, qui doit remonter à la sortie de l'album, en 1996.

Oubliant les textes, la musique et le chant me transportent vers un univers exotique, si éloigné de nos murs de béton et de nos tracas quotidiens, peut-être bien cette mythique Lémurie, symbole d'une civilisation avancée, technologiquement certes, mais aussi spirituellement.

Les grincheux diront qu'avant Lemur Voice et tant d'autres groupes se réclamant du genre, il y a eu un choc, celui de la sortie en 1992 du mythique Images and Words, de Dream Theater, pierre angulaire d'un style, le metal progressif, qui allait révolutionner l'univers du metal, avec ses structures complexes, sa technique irréprochable, son mélange des genres et sa façon d'étirer des structures mélodiques jusqu'à l'infini (Light of Day, day of Darkness, de Green Carnation, ne contient qu'un seul titre,... de 60 minutes !). Bien sûr, il y a chez Lemur Voice une influence notable de Dream Theater, mais tout comme on note chez le Théatre des Rêves une influence de Metallica et d'Iron Maiden (d'ailleurs, les américains ne s'en sont jamais cachés et même ont enregistré des albums complets de reprise de Master of Puppets et The Number of the Beast, bootlegs moyens qui sont cependant de vibrants hommages à leurs propres idoles), ces groupes ayant eux aussi en leur temps incorporé des techniques progressives les éloignant des structures classiques (couplet/refrain) propres à leur genre.

L'influence du jazz est aussi présente, avec cette façon toute particulière qu'a ce style de laisser le champ libre à des soli éclatant de technique et de feeling, que chaque membre du groupe se fera une joie de nous livrer, des soli parfois proches de l'impro.

Le problème de la technique dans le metal progressif, souvent éblouissante, est de ne laisser nulle place à l'émotion, nous noyant sous un déluge de notes à l'exécution parfaite, mais parfois sans âme. Ce n'est pas le cas ici, avec notamment le très beau morceau Deep Inside, lorgnant vers les 10 minutes, alternant avec une lenteur toute séduisante les interventions de piano, de clavier (en nappes légères ou en interventions plus marquées), le tout rythmé par la discrète basse et accompagné évidemment par la voix habitée de Gregoor. Le guitariste Marcel Coenen effectue un travail tout en finesse sur ce morceau, ne tirant jamais la couverture à lui et ne coupant le titre que de brêves interventions qui restent cependant remarquables (attendez 5mn30 !). La batterie reste discrète mais indispensable, avec ce jeu technique et faussement aryhtmique qui marque le genre et que Nathan effectue avec brio.

Je ne vais pas rentrer dans le difficile et vain travail du disséquage en règle de chaque morceau de l'album, ce qui demanderait bien plus de place que vos yeux ne pourraient supporter d'en lire... et me réclameraient des forces que je ne crois pas posséder en cette soirée ! Nous avons à faire à du metal progressif, ce qui veut dire un nombre incalculable de notes, donc pardonnez ma paresse.

En plage 2 et 3, vous trouverez deux instrumentaux démontrant parfaitement de quoi le groupe est capable. Le premier, Akasha Chronicles (rien à voir avec l'une des suites de Lestat le Vampire, d'Anne Rice, il s'agit ici de philosophie hindouiste faisant référence à l'Ayurveda et désigne un mot sanskrit faisant référence à l'espace, à l'éther, au cinquième élément... pas celui de Besson non plus), est une démonstration de technique pure, offrant 5 minutes de défouloir au groupe pour se livrer à ce qui pourrait ressembler à une impro mais dans lequel l'intervention de chaque instrument a dû être minutieusement pensée. Classique dans le genre, mais impressionnant.

Le second instrumental, Celestial Haze, se veut différent dans son approche puisque la technique cède le pas à une émotion troublante. Mise en avant du piano avec nappes de claviers éthérées, le tout parcouru par un chant aérien, pur son dépourvu de paroles, aussi léger qu'un voile de soie remué par le vent.

Parfaite introduction pour le morceau suivant, dont j'ai déjà parlé mais sur lequel je ne peux m'empêcher de revenir, Deep Inside. On commence en effet par quelque chose de doux et de très émotionnel pour s'avancer peu à peu sur le chemin de la technique pure et impressionnante du groupe. Même si les structures sont complexes, chargées d'interventions détournant l'auditeur d'une écoute linéaire, il y a un certain respect des codes avec progression des couplets vers le refrain. Un titre magnifique, sur lequel la guitare et la voix du chanteur font des merveilles.

Pour le reste, on a droit à du prog metal pur et dur, exécuté de manière très professionnelle.

La pièce maîtresse de l'album sera bien entendu le plus long morceau (12mn38, ce qui reste somme toute correct pour du prog), Alone, Stabs of the Past/Alone Again. brillant exercice de style parcouru par une voix toute en retenue et une guitare acoustique du plus bel effet. Nombre de breaks et de ponts parcourent l'ensemble (en fait déjà décomposé en deux parties) et en font un merveilleux exemple de ce que produire le genre au niveau réussites. Avec l'arrivée de riffs plus appuyés et aggressifs - vers 5mn -, la voix se trafique soudain avant que tout reprenne sur un rythme normal, mélodie sur laquelle baigne une douce mélancolie.

Insights souffre peut-être de certaines imperfections, comme par exemple une production trop linéaire, enlevant du relief à l'ensemble, et aussi des claviers ayant trop tendance à livrer les mêmes nappes au fil des morceaux. Il y a peut-être aussi un peu trop de technique - faiblesse inhérente au style ! -, alors que les passages émotionnels laissaient entrevoir un potentiel tout autre, une direction que le groupe aurait peut-être dû chercher à emprunter. Reste que la musique n'appartient qu'à ses créateurs, et aux auditeurs qui ont pris du plaisir à l'écouter.

Tel est mon cas, puisque depuis 16 ans (déjà !), ce disque ne cesse de revenir régulièrement hanter ma platine pour mon plus grand bonheur. Il demande un peu d'effort, car ce n'est pas le genre de femme qui s'efflore au premier rendez-vous, et il est fortement conseillé de l'écouter dans une ambiance tamisée, sans rien faire d'autre que se livrer au plaisir de l'écoute, de saisir au vol ces notes qui s'envolent dans la pièce et dévoilent un étrange paysage, peut-être celui de la mythique Lémurie.

Ah, j'oubliais ! La pochette est franchement ratée ! Ils avaient dû épuiser leur budget avant de penser à celle-ci, ou bien, en tant qu'artistes entièrement tournés vers leur musique, ils s'en fichaient éperdument ! Magna Carta, label référentiel en matière de progressif, aurait pu leur offrir une petite rallonge qui n'aurait pas été inutile, car nul doute qu'une belle couverture attire l'oeil avant l'oreille, et avec un tel nom de groupe, ils auraient pu livrer quelque chose de très beau.

Il n'y eut qu'une suite aux aventures des progueux hollandais, en 1999, avec Divided, disque fort difficile à se procurer mais sur lequel je vous promets de revenir un jour prochain. Puis, d'un commun accord, le groupe de sépara pour des raisons de divergences musicales. On retrouve aujourd'hui quelques-uns de ces musiciens au sein de Sun Caged (chanteur et guitariste s'y retrouvent), Fifth, et Fusilli Jerry (groupe du batteur, plus orienté pop, avec aussi le chanteur Gregoor pendant quelques temps).

Les perles sont souvent rares à trouver, et nul doute que dans l'univers du metal progressif, Lemur Voice fait partie de ces raretés qui n'ont hélas pas connu le destin qu'elles méritaient. Pour nombre d'amateurs du genre, cet album fait partie de ceux qu'il faut cependant absolument posséder. Je partage cet avis !

 

Bonne écoute, je vous laisse avec l'étrange et fascinant Intuition, qui à lui seul saura vous faire voyager !

 

Stéphane DELURE

 

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G
<br /> joliment troussé ma fois, très différent des extraits habituels...<br />
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M
<br /> <br /> Cet album m'obsédait par sa technique quand je l'ai découvert. De vrais créateurs d'univers. Le titre mis en écoute est une vraie réussite, la plus belle de l'album je pense, celle du moins qui<br /> brasse le mieux imaginaire et technique irréprochable.<br /> <br /> <br /> <br />