Parler de ce petit groupe underground (rires enregistrés !) qu'est désormais Nightwish est devenu un exercice difficile. Difficile car le mot "objectivité" n'a plus de place en cette arène, là où trop de sentiments se livrent une danse mortelle. Dans le monde du metal symphonique, concernant ce groupe, il n'y a plus d'espace pour les indifférents, après tout ce temps, tant de péripéties. Car d'un côté se dresse l'armée des fans absolus, brandissant haut l'étendard du groupe et criant fort le nom et le génie de Tuomas, et de l'autre côté de la plaine, à portée de flèches, on trouve le camp de ceux qui trouvent que le groupe a perdu le fil, tous d'anciens fans qui ont trahi la cause à hauteur de la trahison dont eux-mêmes se sont sentis victimes. Et peut-on en vouloir à l'un ou l'autre camp quand tout est affaire de passion ? La réponse est évidemment non.
En tant que chroniqueur, je devrais en toute logique me situer au milieu, en simple observateur, fort d'une inébranlable neutralité. Mais en tant que fan d'une époque révolue, celle de la reine Tarja, je ne peux que prendre les couleurs de ceux qui s'engagent, de ceux qui voudraient encore y croire mais ne retrouvent plus ce qui les a tant séduits. Et pourtant, des arguments, il y en a pour défendre Nightwish. Des réformes qui ont changé le simple duché en vaste royaume, on en compte à la pelle. L'empire est à portée de main, et peut-être ce Human. :II: Nature est-il le vaisseau qui va conquérir de nouvelles terres. Et je l'ai écouté, écouté, écouté, et je n'en suis pas du tout convaincu.
Depuis le départ de Tarja, Tuomas a rappelé qui était le roi, le régent. Avec une certaine violence qui en surprit beaucoup, lui le si gentil garçon. Et après tout, pourquoi pas : la musique, l'idée, le concept venaient de lui. Il plaça donc une autre reine sur un trône situé forcément un peu plus bas que le sien sur le dais. Ce fut l'air de la princesse Olzon, avec une approche plus pop de la voix (normal, les capacités de la pourtant très sympathique Anette n'étant pas celles d'une soprano), et un gonflement énorme des prétentions et des moyens au niveau de l'orchestration. The Poet And The Pendulum était à ce titre exemplaire, du genre à vous faire dresser les poils sur les bras, avec ses airs emphatiques empruntés au style du compositeur Danny Elfman. Niveau musical, Dark Passion Play avait passé un cap et marqué la mesure avec des titres forts et même certains un peu revanchards (Bye Bye Beautiful, ce n'était pas très sympa), mais la mesure est devenue démesure... et sur scène le bateau a inexorablement pris l'eau, la voix d'Anette faisant mal aux oreilles sur les anciens titres, qu'elle était tout à fait incapable d'interpréter correctement (on ne peut lui en vouloir, ce n'était pas son registre, et Tuomas le savait forcément). Était-ce une volonté de sa part de tuer le passé ?
Anette fut vite éjectée. Malproprement. Et les anciens se prirent d'espoir en entendant le nom de la nouvelle chanteuse, Floor Jansen, dont la voix bien connue pouvait briller sur toutes les palettes du groupe (un p'tit live d'anthologie d'ailleurs, histoire de montrer ses capacités, sembla mettre tout le monde d'accord). Mais Endless Forms Most Beautiful tua l'espoir dans l’œuf, bridant inexplicablement les capacités de la chanteuse charismatique et laissant la place à quelques titres insipides qui avaient cependant l'audace de rester dans la tête (Elan, oui, j'ose le dire, et peut-être Yours Is An Empty Hope, rappel cependant raté d'une autre époque).
Vint cependant le temps du repos, et celui d'une grossesse pour Floor. Peut-être en définitive que tout était allé trop vite. Et arrive enfin après 5 ans d'attente ce Human. :II: Nature aux ambitions clairement marquées, avec cette ouverture d'esprit vers les merveilles de la Nature, celles aussi qu'il faut préserver à tout prix. Et j'ai écouté, écouté, écouté. Et l'émerveillement m'a tout d'abord emporté, laissant dans un coin quelques réserves qui me laissaient comme un arrière goût amer.
Parlons de la forme tout d'abord. Double album ce Human. :II: Nature ? Non, nous parlerons plutôt d'un disque de Nightwish, et d'un autre de Tuomas, entièrement instrumental, bien plus intéressant que les versions orchestrales proposées en bonus sur l'époque Olzon. Parlons de ce second disque tout d'abord, qui ravira les fans du compositeur ayant définitivement abandonné son déguisement de Jack Sparrow, ceux-là mêmes qui avaient aimé le surprenant The Life And Times Of Scrooge. All The Works Of Nature Which Adorn The World (fiouuuu !) est un album découpé en 8 thèmes, véritable bande originale de film entrecoupée de quelques paroles et chœurs féminins, qui s'écoute avec un réel plaisir, rappelant les influences de Tuomas en termes de compositeurs de musiques de films. Une oeuvre singulière à défaut d'être inoubliable et qui se révèle être fortement évocatrice (tantôt contemplative, épique, romantique). Pas un bonus donc, mais une oeuvre à part entière, non négligeable, et surtout réservée aux fans de Tuomas et de bandes originales de films.
Et puis il y a bien sûr l'album, celui que tous attendaient, ceux des fameux deux camps opposés, prêts à se jeter les uns sur les autres. Quelqu'un osera t-il entrer dans le No Man's Land et grappiller un peu de terrain, comme au temps des combats de tranchées ? Pas sûr du tout. Si l'on veut parler de la qualité globale de l'objet, sans aller plus avant, elle est au rendez-vous. Floor peut enfin donner toute la mesure de son talent, et elle y prend un réel plaisir, y développant son aisance et sa puissance. Les orchestrations sont savamment pesées, ni trop lourdes, ni trop factices, et l'on peut dire qu'elles servent plutôt bien l'ensemble, comme ces chœurs souvent superbes (Music démarre à ce titre de fort belle façon). Empuu joue enfin de la guitare, donnant du riff et du solo, tandis que la rythmique bat de la mesure, en retrait toutefois tant orchestrations, voix et guitares dominent clairement (là encore, Music ne pouvait pas mieux débuter l'album).
Mais... et oui, car il y a bel et bien un "mais", quelque chose cloche. Tuomas possède à mon sens tous les éléments pour réaliser un excellent album, mais il semble que depuis Imaginaerum, il a perdu cette capacité à placer avec justesse ses pièces maîtresses, s'exposant face à une issue incertaine. Floor adopte les tics vocaux que l'on pouvait comprendre chez Anette, plus théâtrale que performeuse, mais qui sont pour elle tout a fait inutiles, presque une offense. Ecoutez Noise, et ses incessantes montées et descentes, donnant l'impression qu'elle chasse une mouche avec sa voix. D'autant plus dommage que sur le morceau elle sait donner de son organe et dans la bonne direction, celle qui n'avait pas besoin de fioritures, époque Once. Et ça recommence sur Shoemaker... Du coup, on se prend à chercher ces titres forts qui vous restaient jadis dans la tête... et on sort de l'écoute sans en avoir trouvé un seul (peut-être Music, à la rigueur, ou Pan, avec une Floor magistrale et une rythmique maousse costaud, hélas déjà entendue, et en mieux : dommage car le morceau mêle l'époque Tarja/Olzon avec un certain brio). Autre chose qui me fâche : le duo était la force de Nightwish, notamment époque Hietala/Tarja, et l'on n'en trouve guère ne serait-ce que l'ombre d'une ombre, si ce n'est ici ou là, avec un petit échange de rien du tout. Marco Hietala, d'ailleurs, qui était un véritable leader vocal du groupe, se retrouve encore une fois à la marge, leader de la belle mais passable Endlessness. Mais pourquoi diable ne pas lui avoir laissé faire un duo dantesque avec Floor, surtout après avoir entendu le formidable échange qu'elle avait pu faire avec Henk Poort, dans une émission type "Incroyable Talent", en interprétant Phantom of the Opera, où la belle était poussée dans de sacrés retranchements, et en direct, frissons garantis à chaque écoute. Je ne m'étalerai pas trop sur Troy Donockley, qui pour moi reste l'élément éjectable du groupe, ayant pris beaucoup trop d'importance au détriment d'autres éléments (Marco ?). Sa chanson Harvest n'est pas désagréable, loin de là, elle est même plutôt jolie, mais elle n'a clairement rien à faire sur un album de Nightwish. Au moins nous sont épargnées ses flûtes... Au niveau des nouveautés, quelques percussions tribales en mode Le Roi Lion, hakuna matata. Bof.
Vous aurez compris qu'en ce qui me concerne je ne changerai pas de camp. Et je pense que cet album maintiendra d'ailleurs le statu quo, rendant même la situation du groupe périlleuse si le remplissage de salles reste encore longtemps interdit, car à ce niveau, Nightwish se pose dans la catégorie "autorisations en dernier car il vous faut de trop grandes salles" (fin novembre, est-ce jouable ?). Un bel album, soit, mais indigne de ce que pourrait faire ce groupe si seulement Tuomas savait un peu mieux redisposer son jeu. S'il n'y avait l'argent, le fameux dieu Money, je vous colle mon billet que certains auraient déjà quitté le navire depuis longtemps...

Note : 04/10

Nightwish - Human. :II: Nature (10 avril 2020)