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Sulphur Aeon - Gateway To The Antisphere (2015)

Publié le par Stéphane DELURE

 

Rappelez-vous le célèbre slogan d'Alien, le Huitième Passager : "Dans l'espace, personne ne vous entendra crier"... Mmmmmm, pas sûr du tout en fin de compte, surtout avec la seconde salve des allemands de Sulphur Aeon, qui se sont forgés un nom et un style avec leur déjà cultissime Swallowed By The Ocean's Tide.
Durant leur précédent effort, les musiciens invoquaient le titanesque Cthulhu et le sortaient de sa crypte abyssale, forçant les sceaux magiques à coups de riffs ravageurs et d'un death metal brutal dopé par une production en totale adéquation avec le sujet traité, capable de vous broyer les os par l'effet d'une pression colossale. 
Après un tel cataclysme, le second album était attendu avec autant d'impatience que d'inquiétude. Sulphur Aeon a décidé de continuer à explorer l'univers des Grands Anciens, si chers à Lovecraft. Pour certains spécialistes de la question, il ne fait aucun doute que Cthulhu a une fonction bien particulière parmi sa race, celle de grand prêtre. Une fois libéré, il va à son tour invoquer ni plus ni moins que le terrifiant Yog-Sothoth, maître des seuils, de l'espace et du temps, le "tout en un et l'un en tout", conglomérat de bulles iridescentes et surtout clé de voûte de l'invasion de notre monde. Fort de coller à son concept d'adaptation musicale en collant au thème du monstre décrit, Sulphur Aeon prend le risque de changer sa recette en délaissant la production jupitérienne de son premier album pour offrir quelque chose de plus éthéré, plus adapté au thème du vide abyssal. Et à ce propos, avant d'aller plus loin dans le débat, oubliez tout ce que vous croyez savoir sur la réaction d'un corps humain éjecté dans l'espace. Ce dernier n'explose pas, ne gèle pas dans l'instant ni ne se met à bouillir, non. La preuve, j'ai essayé en ouvrant le sas de ma navette personnelle et livré mon voisin détesté aux rigueurs de l'éther, et il est simplement mort d'asphyxie en à peine 20 secondes, le vide ayant pour seul et mortel effet de vider le faible rempart charnel de tout son oxygène.
Alors comment aérer sa musique sans tourner le dos à la recette miracle du premier album ? Pari osé susceptible d'enterrer une carrière balbutiante et dont on ne peut que saluer l'audace, même si le résultat peut de prime abord paraître déstabilisant, voire pour certaines oreilles décevant. L'avantage de chroniquer la chose longtemps après sa sortie est d'avoir laissé le temps à l'album de délivrer ses secrets au fil de nombreuses écoutes - rassurantes quant à l'intérêt de la chose, un mauvais disque finissant sous la poussière -, et surtout de mieux comprendre la démarche des allemands, qui viennent tout juste de sortir leur troisième album, et sur lequel je ne tarderai pas à revenir. 
Le premier portail ayant permis de libérer Cthulhu étant ouvert, c'est dans l'urgence que l'intro balance la nouvelle invocation, scandée de façon beaucoup plus rapide, comme s'il y avait urgence, avec en fond sonore un son de cuivre énorme, digne des plus grands démons sumériens et qui ne surprendrait pas chez Septicflesh. Première nouveauté donc, de même que ces accents orientaux dignes de Behemoth et que l'on retrouvera tout au long de l'opus, présents dès le riff de Devotion to the Cosmic Chaos, référence évidente à un autre Grand Ancien, Azathoth, également surnommé... "le sultan des démons". Et ce travail sur la pesanteur, desserrant l'étau d'une production massive au profit d'une autre, beaucoup plus éthérée, laisse notamment de l'espace à la basse, certes présente sur le premier album, mais qui peut enfin s'exprimer sans être noyée dans le fracas des blasts, des riffs et des hurlements. La surprise est de mise au début, mais après quelques écoutes, on finit par s'habituer par ce changement radical dans l'approche musicale, d'autant plus qu'il entre dans une logique totale avec les aspirations du groupe quant à sa volonté d'adapter l'univers de Lovecraft à sa propre musique. Le côté "ambiance" et référentiel est également mis en avant, avec l'habile Seventy Steps, s'ouvrant sur un son minimaliste de claviers rappelant de thème d'Ennio Morricone composé pour le film culte de John Carpenter, The Thing, oeuvre rendant elle-même hommage à Lovecraft. Et si vous écoutez bien ce morceau, vous pourrez y retrouver également un écho du Call of Ktulu de Metallica, au détour d'un riff de guitare apaisé. Alors oui, les guitares se font moins marquantes, se retirant au profit d'une batterie toute en puissance, jouée par un être assurément doté de plusieurs bras ; les blasts sont là, bien sûr, mais on remarque surtout le martèlement frénétique des toms, comme sur l'éprouvant He Is The Gate. Les guitares existent cependant bel et bien, marquant les breaks cosmiques de Titans et Diluvian Ascension, explosant de mélodie sur le refrain d'Abysshex ou sur les riffs d'He Is The Gate, jusqu'à muter en thrash mélodique à la Raise Hell, époque Not Dead Yet. Les changements de rythmes fusent au sein d'un même morceau, brouillant les pistes et causant le véritable problème de cet album : sa difficulté à créer des hymnes fédérateurs tant chaque titre, à trop vouloir explorer différents territoires, finit par s'éparpiller et offrir, c'est un comble, un mur cyclopéen et monolithique auquel l'auditeur se heurte dans la confusion la plus totale.
L'avantage, avec ce genre d'album, est qu'il vous révèle ses surprises au fil des écoutes, ne s'offrant qu'au fur et à mesure, au contraire d'une fille facile. Alors ne vous laissez surtout pas aspirer dans l'éther, ni décourager par cet effet curieux d'apesanteur, et laissez sa chance à ce disque qui, avec sa production claire et puissante, plane largement au dessus de la concurrence, quelque part dans la stratosphère ou dans cet inquiétant espace si magnifiquement mis en image par l'illustrateur Ola Larsson. De prime abord déstabilisant après l'assaut massif du premier album, ce Gateway s'avère posséder ses propres charmes, tout aussi vénéneux.

 

Note : 08/10

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