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Alice Cooper, un album, une chanson - Constrictor (1986)

Publié le par Stéphane DELURE

 

Suite à la sortie passée totalement inaperçue du pourtant très estimable Dada, Alice Cooper s'offre ce qui est jusqu'alors le plus long break de sa carrière déjà bien fournie (15 albums en 14 ans, pas mal, non ? Metallica en a fait 10 en... 33 ans, j'dis ça, j'dis rien !). Il faut dire que le break était nécessaire. Alice devait vaincre le démon alcool ayant fait de lui un homme n'ayant guère que la peau sur les os, faisant peur d'une façon qu'il ne souhaitait certainement pas. Il fallait aussi qu'il sauve son couple alors au bord de la rupture, Sheryl ayant bel et bien failli jeter l'éponge... qu'il était devenu. 

Les errances artistiques des années sombres n'ont pas rencontré l'écho attendu, le mix hard rock-new wave n'ayant pas emporté les suffrages ? Qu'à cela ne tienne, Alice va guérir de son addiction, rebondir, et ne plus jamais cesser de s'adapter jusqu'à un futur qu'on lui souhaite encore très prolifique. Vincent Furnier n'est pas du genre à se reposer sur ses lauriers. Même si sur scène il souffre d'une sorte de format imposé, qu'il renouvelle de temps en temps (la faute à son personnage devenu légendaire, la faute à ses tubes indémodables et joués avec la même impeccable énergie), nul ne peut prétendre qu'Alice joue sur le passé et livre à chaque fois le même album. Alice, en studio, c'est toujours de la musique dans l'air du temps ou un plan relativement bien pensé (Welcome 2 My Nightmare, Detroit Stories, mais nous y reviendrons dans quelques chroniques !).

A noter que l'artiste a mine de rien préparé son retour, taté le terrain, jouant en 1985 un irrésistible duo avec Dee Snider et le plus heavy et outrancier des groupes de hard-rock des mid-eighties, j'ai nommé Twisted Sister ! Et si vous avez raté ce duo, je vous conseille de cliquer sur Be Chrool To Your Scuel, titre délirant jouant sur une imagerie devant autant à la rébellion des ados qu'au cinéma d'horreur (mais les deux ne sont-ils pas inséparables ?), vague sur laquelle un Alice ayant retrouvé des formes, ses cheveux longs, son mascara et sa tenue cuir et coquille remisée au placard depuis longtemps va surfer avec une véritable envie d'en découdre. Diable que cela fait plaisir de retrouver un Alice doté d'une forme aussi terrifiante !

Alice s'apprête à entrer dans une nouvelle ère, totalement différente de la précédente, et avant d'aller plus loin dans la chronique, il est bon de penser notre Prince des Ténèbres adoré en une sorte de Phénix qui n'aura eu de cesse de s'adapter, comme un boa qui régulièrement changerait de peau, s'adaptant au monde qui l'entoure, le faisant sien pour lui apporter ce qu'il a de meilleur et de plus vénéneux. Avec du recul, nous pouvons classer sous le nom d'ère Zappa celle des deux premiers albums, barrés et expérimentaux. Puis vint celle, plus classique, de l'âge d'or du Alice Cooper Band, soit 5 albums de génie. Le monde du disque n'était pas ce qu'il est aujourd'hui, et les albums et tournées s'enchaînaient à un rythme effréné. La série suivante fut celle que je qualifierais de "comédie musicale", albums concepts mêlant thèmes horrifiques ou personnels et show à la Broadway. Elle contient 4 albums, de Welcome à From The Inside. Puis vinrent ensuite les fameux albums de "l'ère sombre", là aussi au nombre de 4, souvent injustement boudés mais laissant aussi un Alice curieux de voir aujourd'hui encore des fans lui apporter pour signature un lot de vinyles datant de cette époque (merci pour l'anecdote Wez !). Les modes s'accélèreront ensuite, et les périodes grouperont les albums par paires, hormis quelques exceptions : le hard-rock typé eighties de la paire Constrictor-Raise Your Fist, le hard mainstream et le retour en grâce totalement maîtrisé de la paire Trash-Hey Stoopid, la paire heavy-indus Brutal Planet-Dragontown, puis le retour à un style plus classique avec la paire The Eyes Of Alice Cooper et Dirty Diamonds. Mais je vais un peu loin (même si j'ai le droit, c'est mon blog après tout, j'analyse, et je parle d'Alice quand même !), et il est temps de s'intéresser à l'année 1986 !

Alice a terminé son contrat chez Warner et signé chez MCA (Lynyrd Skynyrd, Elton John, Tom Petty mais aussi Bobby Brown, l'homme qui fit exploser les charts avec la chanson du film Ghostbusters, toute une époque !). La production va se partager entre Beau Hill et Michael Wagener, soit deux approches différentes, le premier emportant sur Constrictor la plus grosse part du gâteau (8 chansons sur 10). Beau Hill a produit Europe, Ratt, Kip Winger, tandis que Wagener allait s'attaquer à un versant plus rude avec Metallica, Ozzy Oszbourne ou Accept. Wagener va se charger du mix, et l'on aurait pu s'attendre à un son plus rugueux, mais il faut bien avouer que le résultat est assez typique des sorties de l'époque : un son plat, uniforme, qui enlève de l'impact à l'ensemble. La batterie est à la fête, plus que jamais bourrée de réverb, faisant parfois carrément penser à une boîte à rythmes, et la guitare s'en tire haut la main, ce qui est d'autant plus appréciable quand on sait qui la tient !

Alice a toujours su s'entourer côté musiciens, et il n'est pas en reste avec Constrictor, formant un redoutable duo à la composition avec le guitariste bodybuildé Kane Roberts, artiste dont le talent ne doit pas se mesurer à la taille impressionnante des biceps, même s'il ne se révélera réellement que sur l'album suivant. Kip Winger (tiens donc !), vient apporter son talent de bassiste, instrument incontournable chez l'homme au serpent. Et quand on parle de serpent, difficile de ne pas être saisi par la pochette impressionnante qui attire l'œil de suite, avec un Alice maquillé comme jamais, à l'ancienne, et étouffé par un boa menaçant. Une louche de mauvais goût diront certains grincheux ? Nous sommes chez Alice, le pape du shock rock, et il faut capter le regard, car l'on sait de suite qu'il va y avoir un recadrage sévère vers ce style horrifique ayant fait son succès. Le chanteur est un freak et il faut qu'il fasse peur. Nous sommes en plein milieu des eighties, soit en plein boom d'un certain cinéma de genre, l'horreur, qui fera les grandes heures des vidéoclubs, et c'est par cette porte que notre homme va entrer, signant la BO très remarquée de Vendredi 13, Chapitre 6 (le meilleur de la série !), avec l'irrésistible He's Back (The Man Behind The Mask), hit porté par une voix menaçante surfant sur des claviers faisant la nique aux guitares, lui préférant une basse omniprésente. Deux autres titres seront présents dans cette BO : Teenage Frankenstein, qui ouvre Constrictor, et Hard Rock Summer, écarté de l'album mais titre que l'on peut retrouver dans l'immense coffret Life And Crimes. Teenage Frankenstein possède une structure couplet refrain typique des standards de l'époque, montrant cependant un mordant pas entendu depuis longtemps chez Alice, notamment par l'arrivée de ce nouveau son de guitare, acéré et tranchant, parfois à la limite du thrash. C'est cependant avec Give It Up qu'Alice nous rassure sur son retour en grande forme, avec une voix bien présente, puissante et se voulant aussi hargneuse qu'entraînante. Et cette voix retrouvée monte sur un pont qui casse la structure du morceau et amène sur un très beau solo de guitare, donnant pour la première fois à Kane Roberts l'occasion de véritablement montrer un aperçu de son talent, le détachant du lot des solistes de l'époque.

Et les titres vont s'enchaîner avec une belle énergie, parfaitement placés, à la durée savamment pesée. La force des nouvelles compositions, même si elles ne se détachent pas encore du tout venant de l'époque, si ce n'est grâce à la voix d'Alice, est de bénéficier d'un traitement tout particulier au niveau des textes. Oh, je ne veux pas parler du sens caché de Thrill My Gorilla ou encore de la finesse toute poétique de Trick Bag, non, je veux parler de cette nouveauté chez Alice qui aligne les mots de la plus efficace des façons, faisant du résultat chanté une véritable réussite, renforçant la force des refrains (cette formule éclatera sur Trash). Comment résister à la rythmique verbale de The Great American Success Story, chanson proposée pour le film Back To School mais finalement rejetée ? Les syllabes s'enfilent comme des perles, avec des allitérations bien pensées, parfaitement mises en forme par le chanteur et impossibles à ne pas vouloir reprendre en chœur. 

Côté titres forts, difficile de bouder le sexy Crawlin', nappé de claviers lorgnant vers le FM. Idem pour Trick Bag est son refrain plus qu'efficace, du genre à vous rentrer dans la tête pour ne plus vouloir en sortir, rehaussé par le jeu d'une basse en roue libre. Alice est en voix, totalement dans son élément, brillant sur le superbe et bien positionné au sein de l'album Life And Death Of The Party, titre démarrant comme une ballade chargée de tension électrique, et qui va vite exploser, montant là encore sur un pont vocal envoutant en diable, en totale harmonie avec les paroles. Les riffs hérissent le poil et le solo de rigueur éclate, génial. Je vous ai déjà parlé du titre He's Back ? Oui, je crois. Alors d'accord, il ne s'agit certainement pas du plus heavy de l'album, avec son absence de guitare, mais c'est certainement l'un des plus mémorables, du genre à vous donner envie de toucher infiniment sur la touche replay. Et c'est pour moi un morceau tout particulier puisque j'avais avec lui découvert le personnage d'Alice sans le connaître, grâce au clip entrevu, sidéré, dans une émission dédiée au cinéma d'horreur. Je ne connaissais alors rien au hard-rock, mais l'image m'avait impressionné et ce personnage avait à tout jamais envahi mon inconscient. Passons sur le très agaçant Simple Desobedience, gâché par son rythme syncopé et par un chant ici peu inspiré et des chœurs ridicules, même si la guitare y donne une jolie leçon.

C'est sur le génial The World Needs Guts, toujours présent dans la set-list d'Alice, que j'ai jeté mon dévolu pour le titre phare. On hausse ici le ton en terme d'écriture, d'agressivité, et la voix d'Alice y est plus que jamais menaçante, n'oubliant pas de laisser la place à la sublime intervention de Kane Roberts, qui nous offre ici le meilleur solo de l'album, se montrant rapide, incisif, et rappelle l'une de ses influences, Eddie Van Halen, en nous proposant un court mais jouissif de tapping. Et ce morceau, qui frôle parfois la frénésie du thrash, nous rapproche du radicalisme qui sera adopté sur l'album suivant, Raise Your Fist And Yell, mais pour cela, nous en reparlerons lors de la prochaine chronique !

Constrictor se révèle être un beau retour en forme de l'homme au mascara, un album de Hard US made in Alice in Nightmareland, encore parasité par quelques imperfections (production manquant de mordant, une voix parfois mal mixée), mais largement attractif et surtout prometteur pour la suite. 

Et pour ceux qui voudraient en savoir plus sur l'amitié qui lie toujours Alice et son guitariste d'alors, Kane Roberts, la chronique du dernier album de ce dernier, The New Normal, c'est ICI !

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