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Alice Cooper, un album, une chanson - Trash (1989)

Publié le par Stéphane DELURE

 

Nous sommes en 1989, et les albums Constrictor et Raise Your Fist And Yell ont été de beaux succès d'estime. Ils ont permis à Alice Cooper de sortir du trou dans lequel l'alcool et les insuccès l'avaient enfoncé, et de reprendre par la même occasion le chemin des vastes tournées sanguinolentes. The Nightmare Returns fut un succès certain, qui remit au goût du jour les guillotines et les décors macabres, en une époque où régnait pourtant le glam et un autre genre de mascara, aux tons bien plus... pastels ! Les fans des 70's venaient réclamer les anciens tubes, quelques nouveautés, et leur incontournable décapitation, servant de morale à un show bien rôdé.
Mais les ventes ne suivent pas encore, et Alice est à la traîne par rapport aux petits nouveaux comme Bon Jovi, Guns n' Roses, et même les plus anciens de Kiss et Aerosmith ont retrouvé leur heure de gloire. Alors quand on est sobre et malin comme l'est Vincent Furnier, on ne va pas chercher très loin, après les errances artistiques du début des eighties : on s'adresse au compositeur de génie qui transforme tout ce qu'il touche en or, Desmond Child, et on invite les copains de la plupart des groupes cités à la fête (les Guns, ce sera pour l'opus suivant !). Et après tout, pourquoi pas ? Tous ont fait pareil à l'époque, en ces temps troublés où les modes changeaient à toute allure, et où il fallait s'adapter pour ne pas s'embourber dans le néant. Et comme Alice est le plus ancien de toute la bande, il avait lui aussi droit à ce sacré coup de pouce. Et quand on connait le succès de Trash, tant critique que commercial, on peut se dire que ce diable d'homme a sacrément soigné son jet de dés, même si c'est ramener le succès de cet album au pur hasard, ce qui est loin, mais très loin, d'être le cas. 
Trash est à l'écoute un album qui paraît sacrément spontané, procure l'irrésistible envie de taper du pied et de reprendre en chœur les refrains qui à chaque fois font mouche (et tout fan du Coop en cette période de la fin des eighties connait forcément les paroles par cœur, apprises sur le dépliant de la K7 !), mais le tout relève d'un exercice d'écriture et de composition qui frôle la perfection et relève du point de croix. Et l'on en revient à cet homme, Desmond Child, le faiseur de tubes. Ma recette de cet homme est simple, elle est présente depuis ses premiers succès en tant que chanteur et compositeur sur Desmond Child & Rouge (groupe assez vite passé aux oubliettes) : couplet/refrain, des paroles ciselées qui accrochent bien et surtout des chœurs pour relever l'effet. Simple ? Oui et non, car sans son sens de la formule, bien d'autres auraient appliqué la recette miracle et reproduit le succès... Imparable ? Oui. I Was Made For Lovin' You, de Kiss, c'est lui. Livin' On A Prayer, de Bon Jovi, c'est lui. I Hate Myself For Loving You, de Joan Jett, c'est lui. Dude (Looks Like A Lady), d'Aerosmith, c'est lui ! Et on peut jouer longtemps à ce petit jeu, car la liste est longue et a largement dépassé le domaine du hard-rock.
La question redondante se pose alors, celle qui a longtemps fait controverse, et autant poser les pieds dans le plat tout de suite : Trash est-il un album de Desmond Child, un album d'Alice Cooper et Desmond Child ou carrément un album de Desmond Child avec comme invités Alice Cooper, Bon Jovi, Aerosmisth et Joan Jett ? Les fans se déchirent depuis plus de 30 ans, et n'ont probablement pas fini  de s'écharper. Pour moi, la réponse est évidente, celle du second choix : un album d'Alice Cooper et Desmond Child, car même si la formule tubesque appartient bel et bien au maître en la matière, elle n'occulte jamais la forte personnalité du chanteur, qui pose sa voix vénéneuse sur des compositions habituellement plus taillées pour le charme (et Desmond Child va en aparté foirer son propre album solo, le trop sirupeux Discipline, doté pourtant d'une sacrée voix et de belles compositions, comme quoi le succès n'est pas si évident). Et c'est ce mélange de deux personnalités qui va forger l'âme de cet album, véritable creuset de tout ce qui se faisait alors de mieux dans le genre hard-FM à la fin des eighties. 10 titres, 10 tubes ! C'est bien simple, sur la célèbre tournée triomphale qui suivit, Alice Cooper Trashes The World, ce sont pas moins de 7 titres qui seront intégrés dans la set-list forte de 20 morceaux, chose assez rare pour être soulignée dans la carrière d'Alice, dont les shows sont en général assez frileux sur les nouveautés : la faute à un sacré paquet de hits impossibles à ne pas offrir au public, la faute aussi à un show millimétré qui doit montrer Alice et ses péchés, puis Alice puni, guillotiné. Et en parlant de ce ce show, impossible de ne pas avouer que les 7 titres en question sont parfaitement intégrés dans le show, malgré leur thématique absolument pas macabre.
Car oui, le nouvel Alice porte un nouveau visage. Point de sang dans ses textes. Point de mascara sur son visage, hormis celui qu'il arbore sur le tee-shirt qu'il porte sur la pochette, pour mieux nous montrer sa seconde peau. Le nouvel Alice va donc se la jouer glam, parler de sexe avec des textes malins, pouvant se lire à plusieurs degrés (Poison est un mot fort, propre au vocabulaire habituel d'Alice, dont le sens littéral éclate dans la scène finale du clip, coup d'œil meurtrier à l'appui, mais l'amour passionnel et charnel possède aussi ses propres dangers, comme les relations destructrices ou plus simplement le SIDA). Alice est toujours cuir et cravache, mais il est désormais un prédateur sensuel dont la voix rauque fait des ravages, à des années-lumière des Bon Jovi et autres Steven Tyler.
Et pourtant, A    lice va ici rivaliser avec ces mêmes chanteurs, de façon plutôt amusante et alchimique sur la chanson éponyme, avec Bon Jovi, accompagnés par une bonne partie de groupe Aerosmith (seul Brad Whitford aura renoncé à l'exercice), dont le style plus bluesy se ressent. Et avec Steven Tyler évidemment, sur la ballade Only My Heart Talkin', titre à mon sens le plus faible de l'album, et qui n'a d'intérêt que cet improbable duo, poussant Alice dans des retranchements qu'il n'avait alors jamais tutoyé jusque là (belle performance pour le coup, qui prend le pas sur l'émotion).
La production est d'une classe folle, dans l'air du temps mais savamment dosée, donnant forcément la part belle à des nappes de claviers propres à l'époque et à des chœurs omniprésents, décuplant de façon magique le pouvoir des refrains. La guitare n'est pas en retrait, offrant de belles occasions aux différents intervenants de se manifester : John McCurry (auteur du riff de Poison, qu'il avait déjà tissé deux ans plus tôt pour John Waite avec le titre Encircled), en lead du staff "officiel", mais aussi Kane Roberts, revenu le temps de Bed Of Nails, Joe Perry sur House Of Fire (titre sur lequel Joan Jett a participé à la composition), Richie Sambora et Steve Lukather (Toto, déjà présent sur From The Inside) sur Hell Is Living Without You, et une palanquée d'autres dont Guy Mann-Dude. Ce dernier participera d'ailleurs avec Alice la même année à la composition de la BO électrique du film d'horreur de Wes Craven, Shocker (Alice y interprète un duo avec l'acteur Mitch Pileggi sur Shockdance, et a également composé Love Transfusion, morceau écarté de Trash - quel dommage -, et transcendé par un Iggy Pop chantant comme Alice, c'est vraiment à s'y méprendre !).  
Les hits s'enchaînent ainsi les uns après les autres, beaucoup se ressemblant dans leur structure, mais chacun gardant sa propre personnalité. On peut ainsi grouper le vénéneux Poison - incontournable de la set-list d'Alice, même 30 ans après, preuve s'il en est que ce titre (et d'autres !) sont toujours demandés par le public, malgré l'aspect "suranné" que certains donnent à l'ensemble, trop marqué selon eux par les eighties -, le très sexy Spark In The Dark et ses paroles sans équivoque, aux imparables allitérations : "Turn out the lights and hold me, I want to touch you everywhere"  "I'll take you to the deepest, darkest, hottest, lover's lane", et le carrément incendiaire Bed Of Nails, démarrant avec un riff de guitare et des claviers inquiétants, soulignés par la voix menaçante d'Alice, pour éclater sur des textes plus efficaces que jamais, dopés par la voix envoûtante et sexy (oui oui oui !) d'Alice. "I'll drive you like a hammer on a bed of nails", tout un programme ! Et quelle guitare de Kane Roberts, certes moins folle que sur Raise Your Fist, mais parfaitement maîtrisée ! House of Fire et This Maniac's In Love With You apportent un peu de fun à l'ensemble, impeccablement placés dans l'album, avec une mention toute particulière pour les textes du second morceau, un véritable jeu sur scène lors de la tournée qui suivit (et un véritable tour de force pour Al Pitrelli, qui assura les différents styles avec un sacré brio !). Why Trust You et I'm Your Gun sont les morceaux les plus foncièrement rock de l'ensemble, qui ressemblent sans doute le plus à ce qu'Alice aurait pu continuer à faire sans l'aide de Desmond Child (même s'il est bel et bien à la composition). Sur ces titres, la rythmique joue un rôle effarant, la batterie quittant un instant le côté un peu mécanique de certaines compositions pour retrouver son lustre d'antan.
Nous passerons sur la ballade dont j'ai déjà parlé, Only My Heart Talkin', pour nous attarder sur Hell Is Living Without You, power ballade que l'on doit à Bon Jovi (et Desmond Child of course). Et c'est ici que le secret de la réussite de l'album éclate en une sombre lumière, car l'oxymore utilisée aurait été hors sujet si l'un des deux auteurs cités l'avaient interprétée : elle aurait alors incontestablement perdu tout son charme vénéneux, son parfum désespéré. Claviers sombres et riff entêtant, le morceau se lance avec une voix dont je me lasse pas dans la carrière d'Alice, qui réalise ici tout le boulot, portant à bouts de bras, aidé par des paroles sublimes un titre qui aurait aisément sans lui pu passer inaperçu, même supporté par les choeurs qui l'accompagnent et le solo de rigueur. C'est pour toutes ces raisons et pour le trouble plaisir qu'il me procure à chaque écoute que j'ai choisi de retenir ce morceau de cette flopée de hits qu'est Trash.
Suranné ? Détesté par une frange de fans qui voulaient le son 70's ? Adoré comme moi par ceux qui ont découvert Alice en cette fin des années 80, comme un jeunot soudain sorti du brouillard ? Trash est probablement un peu de tout cela, mais il est à bien y regarder une incontestable réussite, et nul ne boude son plaisir de voir Poison ou Bed Of Nails revenir dans la track-list des nouveaux concerts.
Pour moi dans le top 7 de mes albums préférés du Coop', et je tiens à faire remarquer qu'il s'agit du troisième des années 80, années que beaucoup qualifièrent de maudites pour l'homme au mascara. Bon, allez, je vous laisse, j'ai comme une grosse envie de visionner à nouveau Trashes The World, dont j'ai usé la VHS auquel a heureusement succédé le DVD !

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