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Alice Cooper, un album, une chanson - Flush The Fashion (1980)

Publié le par Stéphane DELURE

 

Alice Cooper était sorti de l'asile et de son addiction à l'alcool en 1978 et cela avait donné ce que j'ose nommer comme l'un de ses plus intéressants albums, From The Inside. Mais quand on avait le rock dans le sang en cette époque, il était facile de replonger, si facile, et la descente aux enfers allait cette fois-ci être encore plus dure, causée par l'héroïne (un petit cadeau laissé par le pote de boisson Bernie Taupin, du Hollywood Vampires Club et compositeur principal du précédent album). Deux ans de silence en seringue avant d'entendre à nouveau parler de notre Vincent Furnier adoré ! Du jamais entendu depuis ses débuts à 100 à l'heure.

Alice entre donc dans les années 80 et l'annonce très clairement sur une pochette assez... horrible. Il arrive également avec une allure décharnée qui fait réellement peur à voir, et pas pour de bonnes raisons, se montrant les traits émaciés, le cheveu filasse, l'œil à moitié éteint, surfant sur une mode dont on se demande s'il s'en moque (le titre veut dire en gros "aux chiottes la mode" !) ou s'il veut invoquer le fantôme des vêtements au goût volontairement approximatif et choquant de ses débuts.

Flsuh The Fashion est clairement l'album de la rupture. La deuxième de sa carrière. Après le Alice Cooper Band, Vincent Furnier s'était lancé dans une série d'albums conceptuels bâtis comme des comédies musicales, de plus en plus disco et de moins en moins rock. Et Flush The Fashion est clairement l'un des albums les plus détestés de sa discographie (peut-être plus que les 3 qui vont suivre), car à l'heure où la NWOBHM explosait, où Ozzy imposait son Blizzard, où le rock brillait avec le End Of The Century des Ramones et le hard-rock devenait classieux avec le Ready An' Willing de Whitesnake, Alice Cooper osait s'aventurer dans la New Wave alors très en vogue ! Opportunisme ou faux procès ? Les deux mon neveu !

Alice, même amoindri, reste un artiste malin, qui mène sa barque comme il l'entend. Alors oui il y a des effets synthétiques et kitschouilles sur ce Flush The Fashion, indéniablement, et ce n'est pas Clones (We're All) qui prétendra le contraire. Mais ces effets, à bien y écouter, ne sont pas prépondérants. Ils sont aussi peu gênants que les claviers de Turbo qui allaient faire vrombir de rage les fans purs et durs de Judas Priest, et comme sur cet album, ils amènent de l'eau au moulin, sans pour autant imposer une véritable révolution. Car l'ADN d'Alice reste rock'n'roll, et peut-être même un peu trop ! Les titres comme l'album sont courts, le tout dépassant à peine les 28 minutes ! Une version post-punk d'Alice en mode branchouille ? Pourquoi pas ? Tout est simple et efficace sur ce Flush The Fashion, qui fuit les excès orchestraux d'une période solo de plus en plus dominée par Ezrin. C'est d'ailleurs Roy Thomas Baker qui sera ici aux manettes (Queen), et cela se ressent notamment sur un titre accompagné au piano comme Pain, le tout dans un style très différent de l'approche d'Ezrin. Pain est une ballade sombre qui ne donne plus dans le mélo, simple mais qui vous remue le couteau dans la bidoche (quelles paroles encore !). 

Rock également car les titres, en plus d'être courts donc directs, ne s'embarrassent plus de soli propres à flatter l'ego des musiciens. Ici, c'est la rythmique qui domine, la batterie qui fait vrombir les basses par sa réverb enfin tendance, la voix d'Alice jonglant entre couplet et refrain, sans guère de break ou de pont alambiqué.

Et les titres, qu'il faut absolument replacer dans le contexte de l'époque, sont véritablement entraînants, même s'ils ne prétendent pas à succéder à School's Out ou Billion Dollar Babies. Aspirin Damage est un excellent morceau, diablement lancé et porté par un Alice qui avait encore la force de nuancer sa voix, montrant ironiquement du doigt le remède comme un poison (Alice carburait à quelque chose de bien plus dur que la caféine et ses substituts, et il ne s'en cache pas dans ses textes, comme à son habitude : Pain invoque clairement la souffrance masochiste des piqûres dans le bras). Nuclear Infected est un brûlot rock qui aurait pu se retrouver sur un album du Alice Cooper band (il n'aurait pas juré sur Muscle Of Love). Grim Facts balance méchamment, aidé par cette structure nouvelle qui ajoute du piment au morceau sans l'affadir. La New Wave selon Alice est là pour servir, jamais pour asservir son hôte, rebondissant sur un piano qui sonne comme un écho du passé. 

Les textes ne sont clairement pas les plus inspirés d'Alice, opposant souvent deux générations qui ne se comprennent pas (parents et enfants, Alice a 32 ans...), mais valent encore le détour et restent finalement d'actualité : Clones (We're All) n'est pas rajouté à sa set-list actuelle pour rien, car le titre, en plus d'être entraînant, reste profondément moderne, Alice chantant façon "Bowie défoncé" I Just Want To Be Myself !

Je passerai sur le rockabilly agaçant de Leather Boots, pour moi totalement inapproprié, même si l'on sait qu'Alice aime bien de temps en temps se la jouer en mode Elvis. Dance Yourself  To Death sent cependant la grande époque des débuts, avec des relents à la Rolling Stones plus entendus depuis longtemps. Et l'on terminera sur le sympathique Headlines, qui aborde encore le sujet de la perte d'identité (tu m'étonnes, même défoncé, Alice restait lucide !), porté par des guitares bluesy du plus bel effet.

Mais dans tout cela, quelle est donc ma chanson préférée ? Je n'ai pas parlé de Talk Talk, reprise des années 60 d'un titre signé Sean Bonniwell, de The Music Machine, du garage rock modernisé et même carrément dopé par les effets New Wave, morceau rentre dedans et donc parfait pour ouvrir l'album, avec un Alice qui s'amuse avec sa voix grave. J'aurais pu. J'aurais également pu choisir l'emblématique Clones (We're All). Mais c'est vers la sinistre ballade Pain que j'ai jeté mon dévolu, chanson que j'apprécie depuis fort longtemps pour son mélange magnifié de sadisme et de romance. Alice n'a pas son pareil pour faire danser ou frémir d'émotion sur des paroles horribles ! Ce morceau reste, et de loin, le plus long de l'album (4mn !), prenant enfin le temps de nuancer le propos, de poser une ambiance, laissant la guitare gémir en de brefs instants avant de la laisser s'exprimer en un encore plus bref solo (très court, mais l'album ne lui laissera pas d'autre occasion). Et puis il y a cette voix inimitable, redevenant menaçante, qui encore une fois habite le morceau, réveillant en un vif soubresaut ce monstre qui n'est plus physiquement que l'ombre de lui-même. Et quel plaisir ce final... "And it's a compliment to me to hear you screamin' through the night"... Brrrrrrrrr !

Un album à redécouvrir et à ne surtout pas bouder bêtement !

 

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