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Top 2021 # 5 - Cradle Of Filth - Existence Is Futile (22 octobre 2021)

Publié le par Stéphane DELURE

 

Cradle Of Filth ! Plus qu'un nom du metal extrême, on parle d'une institution, d'un genre à part entière, d'un groupe boudé par une frange des black metalleux purs et durs (suis sûr qu'une partie écoute en cachette) et idolâtré par les autres. Trop ceci pour les uns, pas assez cela pour les autres, et tellement délectable et unique pour les vrais fans. Pour décrire leur musique, j'aimerais employer le terme d'horror gothic symphonic metal, mais j'avoue que c'est un peu long même si l'on y retrouve tous les éléments qui depuis 30 ans déjà représentent le fond de commerce du groupe. 
Les vampires du Suffolk sont un peu à la musique anglaise ce que la Hammer était au cinéma d'horreur british des années 50 à 60, c'est à dire un savant mélange d'horreur classique et d'érotisme, répondant à des codes précis (les acteurs, les décors, les réalisateurs, les thèmes) auxquels les fans étaient rompus. La bande menée contre vents et marées par Dani Filth, seul membre d'origine encore présent, n'a jamais baissé les bras (que de changements de line-up !), ni changé son attaque de la musique. Là où certains auraient pensé que le groupe allait avec le temps s'assagir à la façon d'un Paradise Lost, pour épurer son style et adopter les vocaux clean, le groupe maintient malgré les années qui passent un cap dont il ne s'éloigne jamais. Dusk... And Her Embrace est évidemment loin, et le ton a réellement trouvé sa marque avec Midian, à savoir un savant mélange de hurlements rageux (les vocaux de Dani sont uniques, et n'ont rien perdu de leur puissance, qu'ils te vrillent les tympans par des cris de banshee ou te soufflent dans la nuque d'une voix rauque à te provoquer l'arrêt cardiaque direct), de compositions mêlant sympho et gothique, avec des textes riches puisant dans une littérature classique (quelque part entre Byron et Dante) et une inspiration de tous les instants, le tout nous faisant plonger dans le romantisme le plus noir.
Existence Is Futile est le 14ème effort des anglais, si l'on écarte Goetia, le premier long qui n'a jamais été publié, et les réenregistrements et remixes (d'une valeur inestimable, ne vous y trompez pas !) de Dusk... and Her Embrace et Cruelty And The Beast, un opus majeur dont la production avait hélas été foirée). Le death du tout début est oublié depuis longtemps, le black primaire n'a jamais fait partie des moyens d'expression du groupe, qui a toujours voulu créer une ambiance unique, refusant pour cela les étiquettes trop restrictives. Les codes du heavy, et notamment de la NWOBHM, ont vite fait leur apparition ici ou là, au détour d'une rythmique, d'un riff, puis de soli de plus en plus marqués. Mais cela n'a jamais enlevé à la puissance de frappe de nos vampires assoiffés de sang, au contraire.
Et le petit dernier ne fait pas exception à la règle ! Avec un line-up stable depuis Hammer Of The Witches et Cryptoriana, et l'arrivée des guitaristes Ashok et Richard Shaw (fantastiques de maîtrise et vraiment complémentaires !), on constate même une montée en puissance. Le batteur Martin Skaroupka, d'une force et d'une précision sans pareille, sait toujours aussi bien combiner les nombreux arrangements orchestraux de l'œuvre, tissant une toile dramatique aussi évocatrice que ces fils d'araignées encombrant les escaliers de vieux manoirs oubliés et forcément hantés. La règle des trois morceaux suivis d'un interlude orchestral est scrupuleusement respectée, mais ne laisse jamais de marbre, car même si au fond la musique de Cradle Of Filth reste la même, elle est avec ce nouvel album d'une inspiration que beaucoup de jeunes pousses leur envieraient. Et n'oublions pas la basse de Daniel Firth, monstrueuse, car quand elle parle les murs tremblent ! 
Le début de l'album est terrifiant, l'une des meilleures entrées en matières offertes par la bande à Dani. Car après le somptueuse introduction, déboule un Existential Terror qui bouscule le fan qui avait peut-être pris ses aises et eu tendance à moins frémir à l'écoute d'un nouveau COF. Le riff principal est d'une puissance folle, vite suivi par la batterie de damné de Marthus, offrant une dynamique renforcée par les effets vocaux de Dani (aigus, graves, traficotages rappelant Manticora And Other Horrors, tout y passe), le genre de morceau qui te donne envie de brailler comme un fou. Un peu de baisers interdits avec Necromantic Fantasies, rappelant la romance noire d'un certain Her Ghost In The Fog (dans l'esprit, pas dans la forme), morceau culminant par un solo de guitare indiscutablement réussi. Elle est ici la force de Cradle, ce pouvoir à proposer de l'extrême tout en y injectant une technique propre à d'autres styles, forgeant dans le sang un hymne instantané. Et quand arrive Crawling King Chaos, tu te couches au sol et tu laisses le train infernal te passer dessus, en espérant qu'il y aura beaucoup de wagons, car tu es forcément adepte des théories de Sacher-Masoch.
Et ce sera ainsi tout du long, un enchaînement parfait dans le tracklisting qui nécessitera plusieurs écoutes pour livrer toutes ses saveurs (et ça tombe bien, l'album donne plus que jamais envie de jouer avec la touche replay, chose qui ne m'était pas arrivé depuis Godspeed et dans une moindre mesure Manticora). La remplaçante de Lindsay Schoolcraft, Anabelle Iratni, est juste dans l'utilisation des claviers, et de plus elle est impressionnante lorsqu'elle prend la parole, de cette voix dominatrice et menaçante, qui rappelle l'époque Cruelty And The Beast, comme sur The Dying Of Embers (Brrrrr !). Quel dommage qu'elle ne soit pas plus présente, alors qu'elle forme un impressionnant duo avec Dani sur Black Smoke Curling From The Lips Of War, morceau gothique par instants et d'une rythmique martiale incroyable de fougue le moment d'après, le tout entrecoupés de riffs incisifs. Si vous voulez quelque chose d'encore plus enlevé, allez voir du côté de How Many Tears To Nurture A Rose ? Scarifiez vous en écoutant le solo de Suffer Our Dominion, c'est du grand art ! Us, Dark, Invincible est quant à lui un véritable tube dark en puissance, avec son phrasé qui sera repris en chœur lors des concerts par des hordes de blafards.
Bref, j'arrête, car vous l'aurez déjà compris, Existence Is Futile est un album qui a profité d'un long travail de maturation, d'une grande inspiration et qui ne relâche jamais la pression. Assurément l'un des plus marquants albums des vampires du Suffolk, à placer à côté de Midian, Godspeed, Cruelty Of The Beast (version remixée !), Damnation And A Day et Nymphetamine (pour moi), Dusk And Her Embrace restant à part, base d'une pyramide qui ne cesse de grandir et faire de l'ombre aux prétendants qui passent et s'effacent (Dimmu Borgir n'a pas tenu la distance, Anorexia Nervosa s'est éteint en pleine gloire).
Oh, et pour les détenteurs de la version avec bonus, nouvelle occasion d'entendre l'acteur Doug Bradley (le célèbre Pinhead d'Hellraiser) sur Sisters Of The Mist, même si ceux possédant la version simple peuvent déjà l'entendre sur Suffer Our Dominion. D'ailleurs, je me dis : à quand un concept album sur l'univers des Cénobites de Clive Barker, enfer qui conviendrait parfaitement à Cradle Of Filth ?

Pour terminer, n'oublions l'artwork signé par le letton Arturs Berzins, mélange de l'œuvre de Jérôme Bosch et du Saturne Dévorant Un De Ses Fils de Goya.

Note : 10/10, sans hésiter !

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