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Darkly, Darkly, Venus Aversa - Cradle of Filth (2010)

Publié le par Mordhogor

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A l'heure où la Manticore vient de s'immiscer dans nos vies sombres, et diviser à nouveau les fans de musique extrême, il était temps de se retourner un peu vers les méfaits de la Lilith qui sévissait dans le précédent opus du Berceau des Immondices, j'ai nommé Cradle of Filth, et leur 10ème album (en comptant Goetia, jamais édité), Darkly Darkly, Venus Aversa, concept-album narrant les exploits romancés de la première femme d'Adam, qui tourna le dos à celui-ci pour aller gentiment s'acoquiner avec le démon Samael. La succube intègre notre monde à l'époque victorienne et y croise des templiers, le tout dans un bain de mythologie grecque, traçant son chemin dans le sexe et le sang. C'est assez confus comme concept et j'avoue m'être perdu dans l'anglais alambiqué et difficile d'accès de nos vampires préférés.

Reste que le concept-album est le genre dans lequel Cradle excelle et a livré ses plus belles oeuvres. Je ne citerai que Cruelty and the Beast et Godspeed on the Devil's Thunder pour les opus relevant de ce genre et ayant retenu ma totale adhésion - Midian étant un peu à part, avec son histoire relevant plus de la trame fugace des monstres peuplant Midian que d'un véritable concept.

Cradle of Filth, dans le monde fermé du metal extrême, c'est quelque chose à part. Au delà du genre dans lequel on essaye de le cataloguer, de l'enfermer, Cradle, c'est avant tout depuis de nombreuses années déjà un rituel particulier devenu immuable. Tous les deux ans en effet, à la veille de la fête du Samain (Halloween pour les non-initiés, ou la Toussaint pour les chrétiens qui éventuellement liraient cette page), avec un régularité toute métronomique, sort un nouvel opus des britanniques. La messe noire s'accompagne toujours d'un livret somptueusement soigné, d'un concept travaillé, de nouvelles séances-photos en studio au cours desquelle Dani Filth et son comparse Paul Allender s'en donnent à coeur joie (euh... là, il a un peu trop forcé le Dani, son brushing et son maquillage étant... euh, je ne sais qu'oser dire, alors je la ferme !).

La messe noire étant dite, nous devrions pouvoir tranquillement parler de ce qui nous intéresse, c'est à dire la musique ! Mais non, pas encore ! Car il existe un autre rituel immuable, et celui-ci vient des critiques et d'une partie des fans de metal-extrême. Comme au temps des inquisiteurs, il faut soumettre le groupe à la Question ! Est-ce que le nouvel opus va se révéler plus violent ou plus "commercial" que le précédent ? Est-ce que les vampires du Suffolk auront cédé ce qui leur reste d'âme au diable en vue de vendre quelques disques de plus ? Est-ce qu'il s'agit toujours de black-metal ?

Et là, tous les deux ans, je me dis invariablement - et pour la première fois je me confie à vous, lecteurs, sur ce sujet qui me tient terriblement à coeur - "mais on s'en fout !!!" Cradle of Filth vend plus d'albums que le Burzum d'avant l'emprisonnement de Varg Vikernes - mais moins que Beyoncé ! -, et alors ? Cela veut peut être dire que la communauté vampirique s'étend dans l'ombre ou plus simplement que le groupe est bon dans ce qu'il propose ! Black metal ? Non, puisque le groupe a quitté le milieu underground - "ouh, les vilains !" disent les "puristes". Je parlerais plus volontiers d'horror-metal, de metal-extrême, en ce qui les concerne, ou plus simplement de Cradle of Filth, car aucun autre groupe ne leur ressemble ! Pour clôre ce chapitre qui devrait être inutile, je dirais que Cradle est à la musique extrême ce que Lovecraft est à la littérature fantastique : une entité qui a su comprendre et décortiquer les mécanismes subtils d'un monde qu'il veut décrire, celui de la peur et de l'horreur, le tout mêlé dans un ambiance de conte horrifique (pour l'aspect narration). HPL savait comment bâtir ses récits, il savait où placer ses mots pour créer des ambiances uniques et marquantes, il a d'ailleurs rédigé son Livre de Raison, guide pouvant servir à n'importe quel écrivain souhaitant persévérer dans ce style (moyennant un minimum de talent tout de même). Ses récits sont bâtis sur des trames souvent proches, mais quasiment tous procurent une sensation unique : La Couleur Tombée du Ciel, Les Montagnes Hallucinées, Dans l'Abime du Temps,... Cradle of Filth, depuis Dusk and Her Embrace, suit la même logique. Il progresse album après album, affinant sa technique - parfois avec plus ou moins de bonheur, il est vrai -, mais sachant toujours où placer du clavier, un riff, un solo heavy ou death ou encore thrash, quand faire intervenir un  chant féminin ou une narration masculine à vous faire dresser les cheveux sur la tête (merci Mr Doug "Pinhead" Bradley !), quand moduler en passant de la voix grâve au cri strident que pourrait normalement seule pouvoir lancer une banshee ! Cradle of Filth, c'est un mélange d'art et de mathématiques appliquées, et surtout pas le gloubiboulga putassier dont trop de critiques l'affublent tous les deux ans !

Bon, alors, et Darkly Darkly, Venus Aversa (DDVA pour faire plus court) dans tout ça ? Bon cru ou mauvaise récolte ? J'avoue qu'après le Godspeed on the Devil's Thunder dont je ne me suis toujours pas remis, il m'aurait fallu plus de temps pour aborder l'opus suivant. DDVA a donc tourné moins souvent sur ma platine, et à le réécouter aujourd'hui, je me rend compte de l'erreur que j'ai faite, car il s'agit d'un très bon millésime !

Vous aimez les comparaisons qui parlent ? Alors je dirais que DDVA est à Cradle ce que The Formation of Damnation est à Testament ! Vous ne comprenez pas la comparaison ? Je veux dire par là que l'album, excellent par ailleurs, est une oeuvre dominée du début à la fin par le travail du batteur. Ce que Paul Bostaph a su réaliser chez les thrasheux de la Bay Area, le tchèque Martin Skaroupka l'a aussi fait chez Cradle, bien aidé en celà, comme sur l'album de Testament, par la production qui a volontairement décidé de mettre son travail en avant, option qui dans les deux cas a rendu le tout plus extrême et rude à l'écoute. Blasts et breaks incroyables sont au rendez-vous, comme sur le précédent opus finalement, mais à la différence notable que cette fois-ci l'effort est nettement mis en avant par la production, rendant du coup justifiée la promesse de Dani qui avait annoncé l'album comme beaucoup plus violent que les oeuvres antérieures. Et c'est effectivement du lourd de chez lourd qui nous est envoyé, même si l'on baigne toujours dans une ambiance qui sait rester gothique et romantique grâce encore à de savantes petites touches (à noter que l'album est dédié au défunt Peter Steele, grand ami du groupe et emblème du mouvement gothique, mais bon, l'hommage s'arrête-là, ce n'est pas une resucée d'October Rust !) !

Dès le premier morceau, on en prend plein la figure (ce qui explique peut-être la curieuse coiffure de Dani, qui s'est peut-être trop appoché des baffles lors des premières démos-tests). Pas d'intro digne d'un film d'horreur cette fois-ci ! Quelques secondes de claveçin, une oraison vénéneusement récitée par Lucy Atkins (une vraie Lilith incarnée, elle !), et un mur de riffs acérés dominé par les blasts de Skaroupka vous martèlent les tympans. De quoi défaire en un coup les lacets serrant de trop les corsets des groupies gothiques agenouillées devant l'offrande. Cette violente entrée en matière est une véritable déferlante qui fait voler grimoires et trembler les flammes des candélabres. Avec ses violents changements de rythmes, ce serait presque du progressif à la sauce extrême.

Avec One Foul Step from the Abyss, 20 secondes de piano précèdent le mur de son érigé par le batteur, qui va alterner  avec un talent délirant blasts et frappes chirurgicales, violentes et sèches. Quelques riffs rythment le tout, de même que la voix serpentesque de Dani, qui monte en des aigus impressionnants faisant toujours penser à un vent déchaîné. La délicieuse et rouquine claviériste, Ashley Ellyllon, saupoudre le tout de quelques belles interventions spectrales. J'aime tellement ce morceau que je vous le mets en écoute, à la fin de l'article qui, je m'en aperçois, devient aussi long qu'un texte écrit par Dani. M'en fiche ! Y'en a à dire !

Sur la piste suivante, The Nun With the Astral Habit, on retient le piano fou qui semble hanter le morceau, par petites touches. Sinon, ça envoie toujours le bois ! Il y a aussi un beau solo de guitare, digne d'un morceau tout simplement heavy. Car Cradle of Filth mêle tous les genres, les teintant de violence, du moment qu'ils servent son noir dessein, celui de peindre une oeuvre horrifique et gothique.

Retreat of the Sacred Heart continue sur la même lancée sans rien rajouter, mis à part un petit break plus calme et bienvenu, restant cependant menaçant grâce à la voix de Filth qui se la joue "personnalité possédée" à la King Diamond.

The Persecution Song ralentit quand même le tempo fou de l'album, avec une intervention plus marquée des guitares et du synthé. Changement de rythme bienvenu ! A la quatrième minute, Dani se lance en un hurlement franchement impressionnant, digne d'une véritable créature de la nuit. Je me demande personnellement comment il réussit, après 20 ans de carrière, à ne pas avoir complètement perdu sa voix. Le plus grand des mystères de Cradle ! En l'entendant sur ces quelques notes, j'ai l'impression de voir se tendre sa gorge en un horrible et douloureux vibrato.

Rythmique heavy digne de la NWOBHM pour lancer Deceiving Eyes, qui ne se démarque cependant pas du lot, noyé dans le flot de morceaux bien plus consistants. Il y a quand même d'intéressants solos et rythmiques de guitares, mais celles-ci restent encore trop discrètes. L'intervention du piano/clavier d'Ashley y est vraiment très bien pensé. Quel dommage qu'elle ne fasse déjà plus partie de l'aventure !

Puis on arrive vers la partie la plus consistante de l'album, avec tout d'abord Lilith Immaculate, premier véritable échange entre Dani et la voix féminine de Lilith, incarnée par Lucy Atkins, hélas beaucoup moins exploitée que dans le précédent album. Ce choix relève cependant de la direction plus agressive voulue par le groupe, et je crois ne pas me tromper en disant que jamais le combo britannique n'a atteint un tel niveau de violence et de férocité. Le morceau est traversé de moments épiques amenés pas les claviers.

The Spawn of Love and War se lance sur une rythmique de guitare résolument thrash, suivie par une batterie qui adopte le même ton, délaissant les blasts pour une approche plus technique et variée. Si l'ambiance reste thrash dans l'approche, le tout reste extrêmement violent. Et ce n'est pas Harlot on a Pedestial qui reviendra sur ce constat. Les guitares deviennent carrément folles et se réveillent enfin, accompagnant par solos et riffs de folie le rythme infernal qu'impose le traumatisant Skaroupka.

Vient ensuite le morceau "pop" version Cradle de l'album, ce qui est devenu une habitude -bien que non régulière - depuis la reprise du groupe Sisters of Mercy, No Time to Cry, sur l'EP Bitter Suites to Succubi. Rupture de ton avec le reste de l'album et mauvais choix de single puisque non représentatif (mais alors pas du tout !) du reste de la galette, mais le morceau reste finalement très agréable à écouter, avec un pré-refrain (si l'on considère que le véritable est celui interprété par Lucy/Lilith) totalement vénéneux de Dani. On imagine presque une langue de serpent sortir de sa bouche quand il crache ses mots ! Solo de guitare carrément réussi. Allender et McIllroy se répondent à la perfection, ce qu'ils feront encore mieux sur ce qui est pour moi la pièce maîtresse de l'album, la onzième et dernière piste, Beyond Eleventh Hour, que je vous ai proposée en écoute au début de l'article.

L'introduction narrée par la dangereuse et menaçante Lilith - texte magnifique, baudelairien ou byronesque à souhait, et qui nous promet rien de moins que la venue de l'Enfer sur Terre ! - nous lance sur 7 minutes de pur joie démoniaque. Ecoutez ce duel de guitares bien heavy qui éclate à la cinquième minute, c'est tout simplement jouissif ! Et évidemment, le tout avec Dani qui s'égosille entre aigus et grâves sur le tempo martelé par le batteur décidément très en forme.

Pour les possesseurs de l'édition digipak limitée (moi ! moi je l'ai !), il y a même un disque bonus proposant quatre titres de plus, ce qui porte le tout à plus de 80 minutes de musique propres à faire fuir tous vos voisins, surtout par une nuit de pleine lune avec brouillard qui rôde !

On reste dans la même veine, avec le tonique et musclé Beast of Extermination (délicieuse intro de choeurs et Dani balance la purée, lâchant la bride aux guitares et aux fûts déjà bien mis à mal). Beaucoup de choeurs dans cette chanson très rapide (mais rapide sur 5 mn, ça fait mal !) aux accents thrash. Et encore un solo de haute volée. A croire que les guitares se sont vraiment réveillées vers la moitié du disque principal.

Thrash ultra violent, toujours, avec Truth & Agony, mâtiné cependant de belles plages plus calmes hantées par la voix tordue du sieur Filth. Les interventions du clavier donnent un fond sonore symphonique très agréable à l'ensemble.

Mistress from the Sucking Pit marque par sa belle intro au piano digne d'une maison peuplée de spectres (Ahhh, Ashley, pourquoi, mais pourquoi es-tu partie ?) et son utilisation juste des claviers, rompue par de belles parties de guitare. Il y a du riff meurtrier là-dedans ! Et 7 minutes dans la face encore ! Dani hurle comme il sait si bien le faire, c'est à dire comme nul autre ne sait le faire. On aime ou on aime pas, c'est certain mais arrivé à cette 14ème piste, il vaut mieux avoir assumé son choix !

On termine avec Behind the Jagged Mountains, symphonie horrifique martelée à grands coups de Skaroupka (à ce niveau-là, il est devenu une arme de destruction massive) et saccadée par des riffs vengeurs et des nappes de claviers belles en diable. Beau solo de guitare encore !

 

Bon, ben je l'ai bien aimé finalement cet album ! Il est certes moins cohérent dans l'histoire narrée que son prédécesseur, manque peut-être de titres forts tels que Godspeed en possédait, mais il offre l'avantage non négligeable de favoriser la violence et de mettre en avant le formidable jeu du batteur, dont je n'ose répéter le nom de peur qu'il n'apparaisse dans mon dos (oui, parce que regardez sa photo dans le livret, il fait peur !!!).

 

Allez, c'est décidé, je m'en vais acheter la Manticore moi !

 

Bonne écoute !

 

Stéphane DELURE

 

 

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