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Hyperion - Manticora (2002)

Publié le par Mordhogor

 

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Manticora, voilà bien un groupe de speed metal qui me divise avec un trouble certain. Car j'ai beau essayer, je ne sais me fixer et dire s'il faut crier au génie ou bien zapper la chose.

Etrange d'en arriver à dire cela, non ?

Mais avant d'aller plus loin dans la dissertation, il est nécessaire pour moi de vous parler d'Hyperion, certes titre de l'opus chroniqué, mais avant tout roman-fleuve de l'écrivain Dan Simmons, space opera à mes yeux plus ambitieux et au moins aussi réussi que le célèbre Dune de Franck Herbert. Si j'en parle ici, c'est bien entendu parce que ce roman est la source d'inspiration du groupe danois qui a décidé en toute modestie d'en faire un concept-album. Je dis "modestie", car s'attaquer à un tel pavé de la littérature de science-fiction référentielle, lors de la réalisation de ce qui n'est somme toute que son troisième album alors que le groupe ne jouit pas à proprement parler d'une reconnaissance lui permettant sans risque de s'aventurer dans une telle fantaisie, cela relève du travail d'équilibriste. D'autant que peu d'oeuvres de SF ont été adaptées dans l'univers du metal, contrairement à nombre d'oeuvres de Fantasy, elles régulièrement adaptées. Il y a bien sûr le très réussi The Mission, de Royal Hunt, qui adaptait ni plus ni moins que les belles et poétiques Chroniques Martiennes de Ray Bradbury, mais ce groupe jouissait alors d'une position incontestable et reconnue dans le monde du metal progressif à tendance mélodique. Allez, rajoutons pour le fun le très réussi To Tame a Land, chanson d'Iron Maiden écoutable sur Peace of Mind et adaptant en seulement 7 minutes (chapeau pour le raccourci !) le monumental Dune précité. Pour les ambiances metal à la sauce "space opera", autant se tourner vers l'imaginaire d'Ayreon ou Jupiter Society, même si l'on touche là à des concepts plus difficiles d'accès en termes de musique.

Le roman, regroupant en fait au travers de deux tomes Les Cantos d'Hypérion, raconte l'histoire extraordinaire de sept hommes et femmes envoyés sur la Planète Hypérion dans la vallée des Tombeaux du Temps, artefacts mystérieux suivant une courbe de temps inverse à la nôtre, afin d'y rencontrer le Gritche lorsque les Tombeaux s'ouvriront sur notre phase d'espace temps et faire face à leur destin. Le Gritche est aussi nommé le Seigneur de la Douleur, l'Ange de l'Expiation Finale, avatar meurtrier et invincible créé par des intelligences artificielles, capable d'annoncer la fin de l'Humanité, à moins que les sacrifices qui lui seront proposés ne soient acceptés et redonnent une chance à notre espèce de survivre. Pendant ce temps menace une invasion d'humains rebelles à l'Hégémonie, une espèce à part entière ayant physiquement évolué, les Extros. Résumé forcément réducteur face à une oeuvre complexe et fascinante dans laquelle les bases de la religion (catholique ici, mais applicable à tout dogme) sont mises à mal, la nature de la foi est ébranlée (parabole du sacrifice demandé à Abraham à travers le sort touchant de l'un des héros, Saul Weintraub, qui voit sa fille remonter inéluctablement le temps de façon physique, la voyant perdre ses souvenirs à chaque jour qui s'écoule, sort douloureux lui promettant, sinon, la mort, la disparition pure et simple). La notion d'humanité est à la base du roman. Amour, tolérance, sacrifice traversent l'ouvrage au gré de chacune des histoires narrées par les pélerins, histoires les ayant tous menés à accepter une si lourde responsabilité. Car des sept pélerins engagés, un seul survivra et se verra accorder le don de faire un voeu, un unique voeu qui sera lourd de conséquences.

 Le concept-album aborde les thèmes des principaux personnages (non cités dans le texte pour des questions de droits, ce dont je ne vais pas me priver pour ma part !).

Pour les connaisseurs du livre, le sort du père Paul Duré, torturé entre la force de sa foi chrétienne - renforcée par le symbiote cruciforme qu'il porte et le rend immortel - et la réalité qu'il découvre (et dont la seule issue est la mort offerte par le Gritche) est traité dans Filaments of Armageddon, premier titre véritable de l'album après l'introduction, simple mise en bouche instrumentale. Keeper of Time, Eternal Champion, parlera avec un entrain communicatif du colonel Fedmahn Kassad, guerrier ultime et champion de l'Humanité mené par son amour du combat et celui de la femme venue du futur, Monéta. Le morceau Cantos parle quant à lui du poète Martin Silenus, désireux de terminer son oeuvre obsessionnelle, entamée depuis déjà deux siècles, et qu'il sait ne pouvoir terminer qu'en retrouvant sa muse au travers de la pire des douleurs. Reversed nous amène à découvrir le triste destin de Saul Weintraub, qui voit sa fille redevenue jeune enfant destinée à disparaître dans le néant. Brawne Lamia, la détective dont le destin sera étroitement lié à la réincarnation du poète John Keats - le brillant poète britannique à la vie aussi brêve et vivace qu'une flamme, ayant fait grâver sur sa tombe les mots suivants : "ci-gît celui dont le nom était écrit dans l'eau (je n'ai pu m'empêcher de citer cette épitaphe tant les mots sont beaux), est quant à elle abordée sur le morceau A Long Farewell.

Oui, je sais, comme d'habitude, je me suis étalé, cette fois-ci quasiment à la limite du hors-sujet, mais il s'agissait pourtant d'une étape nécessaire car elle est l'une des raisons me poussant à aimer, adorer même, cet album ! Oui, je voue un amour certain pour le roman (lu deux fois malgré sa taille imposante). Et le groupe également, cela s'entend, recommandant d'ailleurs la lecture du bouquin dès la première page du livret, proposant également un court résumé de l'histoire.

Venons-en maintenant à l'essentiel, la musique !!!

Il s'agit bel et bien de speed metal mélodique, peu marqué par l'ambiance futuriste que l'oeuvre traitée aurait pu justifier. Vous trouverez quelques ambiances électroniques sur l'intro et au travers de quelques morceaux, ici et là, mais cela reste très léger et en fin de compte peu important. Après tout, à travers le roman, Dan Simmons nous transporte en pleine bataille d'Azincourt et ressuscite un poète anglais du début du XIXème siècle ! C'est donc à une cavalcade effrénée au cours de laquelle ne cessent de s'affronter batterie et guitares que nous avons à faire.

Le style est proche de Blind Guardian (ceci est évident, la voix de Lars F. Larsen rajoutant à la confusion), mais aussi d'Iced Earth, avec ses parties les plus rapides et son style agressif, et donc forcément à Demons and Wizards, qui mêla les talents des leaders de ces deux groupes (je pense notamment au premier opus, plus mélancolique que le second et rejoignant en cela certains titres d'Hyperion).

Les morceaux sont pour la plupart longs et proches du metal progressif, tant les changements de rythmes y sont nombreux, notamment sur les six morceaux dépassant allègrement les 7 minutes. Les breaks et ponts sont légion, et la plupart du temps fort bien pensés. Je songe notamment au magnifique break apporté par la basse coupant la dynamique de Filaments of Armageddon et permettant de lancer le très beau chant féminin qui nous est ensuite offert (Karine Borum et Stine Q. Pedersen donnent de la voix en de belles occasions). La rythmique infernale de ce morceau épique est imparable, et les couplets - plus marquants que le refrain - risquent fort de vous rester longtemps dans la tête (j'ai parfois eu bien du mal à m'endormir tant les paroles tournaient en boucle das ma tête sans vouloir s'arrêter !).

The Old Barge, morceau court mais épique, débute par un concert menaçant de batterie, basse et guitares que l'on sent à l'affût, prêtes à briller sur ce morceau qui illustre le départ des pélerins sur la gigantesque mer composée d'herbes et peuplée de serpents monstrueux, trajet qui les mènera vers les Tombeaux du Temps. Chaque instrument y trouvera l'occasion de briller.

Keeper of Time, Eternal Champion se lance sur un rythme oriental intéressant, puis continue sur la rythmique imparable de Mads Volf, impressionnant batteur. Un court solo de grande qualité, qui reviendra régulièrement, entraîne le morceau vers l'épique. Deux ponts et quelques breaks fort à-propos font de ce morceau progressif et rapide mon préféré de l'album, la voix se lâchant enfin dans des aigus emplis de hargne qui se faisaient un peu attendre. A croire que l'hymne guerrier dévolu au soldat Feldmahn Kassad inspirait plus encore les musiciens ! Le frère du chanteur, Christian Larsen (à moins qu'il ne s'agisse de Martin Arendal, désolé si erreur il y a : les deux guitaristes sont de toute façon excellents !), se lance dans un solo très incisif annoncé par une frappe monstrueuse et sèche de Volf.

Cantos est bourré lui aussi de breaks, ainsi que d'intéressantes interventions de la basse (Kasper Gram) et des claviers (Jeppe Eg). Morceau impressionnant, mais peu poétique pour le coup ! Bon, il est vrai que Martin Silenus finit par trouver (attention, spoiler pour ceux qui ne connaissent pas le livre !) son inspiration empalé sur l'arbre du Gritche, qu'il nomme Grendel en hommage à l'épopée Beowulf.

Reversed est plus ambiancé, un peu plus calme que le reste de l'album, commençant par une guitare acoustique accompagnée par un son de pluie qui tombe. Une voix féminine électronique (probable Intelligence Artificielle) intervient. Il s'agit presque d'une ballade, fort mélancolique - ce qui est normal au vu du sujet traité. La voix de Lars y est plus torturée, montrant à merveille le trouble et le désespoir animant Saul Weintraub.

A Long Farewell est le plus long morceau d'Hyperion, fort de ses 8mn45 proposant le côté le plus progressif du groupe. Y alternent de purs moments de folie guitaristique propres au speed metal et des instants plus calmes sur lesquels plane l'ombre du clavier ou la rythmique plus tempérée de la batterie. Mais cela reste du costaud ! Le chant de Lars s'y rapproche souvent de la hargne que sait si bien transmettre Hansi Kürsch (ahhhh, écoutez le break à 6mn30 !!!).

Le morceau se termine sur un ton vraiment menaçant.

La douceur arrive avec les claviers reposants et la guitare acoustique de At the Keep, la véritable ballade de l'album. Moment fort bien venu surtout dans le suivi du récit, même si le groupe ne brille pas spécialement sur cet exercice. Mais bon, j'insiste, il s'agit ici d'illustrer une histoire complexe, pas de faire danser les minettes. Très beau solo de guitare encore.

Petit interlude instrumental avec Swarm Attack, illustrant l'épique combat mené par l'essaim des Extros. Du rapide qui réussit à se teinter de progressif typé américain.

On termine en beauté avec un titre que j'ai du mal à écrire : Loveternaloveternal ! Superbe morceau toujours empli de breaks et de ponts recyclant les différentes thématiques musicales abordées dans le reste de l'album. Les voix féminines font encore de brèves apparitions. Le sacrifice de l'amour est chanté, célébré par les instruments toujours marqués par des ruptures de ton propres au progressif. Les dernières paroles sont superbes et se passent de traduction : "Your memory will last forever, I'm crying tears that you will never see..."

Voilà. Les textes sont superbes, la musique force le respect devant la technique et la maîtrise des musiciens, même si plusieurs écoutes sont fortement recommandées pour apprécier le tout. De plus, le thème d'Hyperion a plus qu'inspiré le combo, faisant l'effet d'un Blind Guardian ayant enfin réussi à adapter en musique le Seigneur des Anneaux !

Alors pourquoi diable ai-je dit en début de chronique - soit dix mètres plus haut ! - que l'oeuvre me divisait, me faisait m'interroger quant à la qualité du tout ? En fait, c'est à cause du sujet que j'ai peu abordé jusqu'ici, et ce volontairement afin de  pouvoir mettre en exergue les qualités certaines de l'ouvrage. Et ce sujet qui me gêne tant, c'est la voix de Lars F. Larsen ! Elle ne manque pas de puissance, mais de justesse. Trop de moments clés de l'album la surprennent sur le fil du rasoir, au bord de la fausse note. Lars ne tombe heureusement pas dans le piège de l'interprétation ratée, mais sa voix est tellement proche en tessiture de celle d'Hansi Kürsch - avec cependant un très net avantage pour ce dernier -, que l'on ne peut qu'immanquablement se dire que si le chanteur de Blind Guardian avait officié derrière le micro, nous aurions tenu là un véritable chef d'oeuvre ! Contrairement à Hansi, Lars est incapable de moduler suffisamment sa voix, cette voix gutturale se bloquant sur des notes peu variées donnant au chant un aspect monotone sinon atone, là où le teuton aurait pu basculer avec une déconcertante facilité entre graves et aigus et varier ainsi les plaisirs ! Ahhhh, réécoutez les variations sur le furieux A Voice in the Dark, tiré de At the Edge of Time, pour vous en convaincre ! Je tremble rien qu'à penser à la voix d'Hansi sur le refrain.

Voilà donc le bémol qui, selon moi, en rebutera plus d'un. C'est dommage, car le groupe a de grandes qualités. Il faut je pense laisser sa chance à cet album, qui possède une aura certaine, et aller au delà d'une simple écoute. La preuve, je ne peux m'empêcher d'y retourner régulièrement, même si j'avoue parfois saisir l'objet... puis le reposer pour remettre l'écoute à un autre jour.

A noter la superbe pochette de l'album, dévoilant un Gritche stylisé montrant bien ses épines chromées et ses yeux brillant tels des rubis. Cela dit, pour moi, le Gritche décrit par Simmons reste tout simplement le Metallian de Judas Priest, celui qui illustre les pochettes de Painkiller, Jugulator et Angel of Retribution !

Vous savez quoi, j'ai envie de me procurer le dyptique au design et au concept fort alléchants qu'est The Black Circus ! C'est donc qu'il y a bien de la magie dans ce groupe, même si elle reste mineure.

 

Bonne écoute ! Je vous laisse avec le plus beau morceau (selon moi) de l'album, Keeper of Time, Eternal Champion, et ses breaks et solos si inspirés.

 

Stéphane DELURE

 

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