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Kesys - Ascent - Fall (21 mai 2020)

Publié le par Stéphane DELURE

 

Cela fait des mois que le second album de Kesys (Jeff Grimal, en unique maître à bord), est sorti, bulle de bien-être au sein d'un univers désormais confiné, réduit à des échanges sociaux les plus rudimentaires. Et cela fait des mois que j'écoute cet album, cherchant la meilleure façon de l'aborder, d'en parler, car même si Jeff garde son approche minimaliste, il a rajouté des petites nouveautés qui brouillent les pistes et ont rendu pour moi la rédaction ardue.

Souvenez-vous, moins d'un an avant cette nouvelle sortie, Jeff nous avait livré sa première offrande, Kesys, flirtant entre l'ambient et le drone. Kesys était en fait un personnage à part entière, double musical de l'artiste aux multiples talents et possible reflet de l'auditeur sensible à cet univers dépouillé. Quelques notes et sons de la vie quotidienne nous faisaient quitter les tourments d'une vie semblable au croisement des autoroutes américaines aux abords des grandes villes, laissant le fourmillement loin derrière pour rejoindre la nature... et faire corps avec elle. Et tout cela aurait pu en rester là tant nous imaginions Kesys en parfaite harmonie avec le véritable monde, celui qui était présent bien avant l'homme.

Mais Jeff reste avant tout un être humain, avec sa sensibilité à fleur de peau, conscient du fait que tout n'est pas si simple et qu'en ces temps de repli vers soi presque rendu obligatoire par la situation sanitaire, il ne faut pas renoncer et, comme dans chaque quête digne de ce nom, traverser des épreuves afin de les surmonter et brandir haut le Saint Graal.

J'ai donc écouté, écouté, écouté, percevant bien les nouveautés, mais ne trouvant toujours point l'accroche. Et puis j'ai découvert sur la page Facebook de l'artiste une vidéo du peintre montrant en accéléré la construction de l'une de ses œuvres abstraites peintes à l'huile (technique utilisée pour illustrer le premier Kesys, non pour le présent album, même si le résultat est toujours aussi beau, avec cette forêt sombre où tout commence et finit pour l'homme), et d'un coup tout s'est pour moi éclairé !

A la façon de ses créations abstraites, Jeff a construit son second album, ajoutant couche après couche, posant ici où là quelques détails supplémentaires, prenant son temps pour bâtir un univers, donner corps au squelette. 

Tout part d'un fond blanc, vierge, celui de la toile, ou du silence qu'il va falloir sculpter, puis l'on y appuie par grands traits cette noirceur nécessaire à tisser le fond sur lequel le chaos et la vie vont prendre forme, car dans le fond, toute forme de vie est issue des ténèbres. Les accords de guitare acoustique vont ainsi répéter le mouvement du pinceau, tisser par petites touches la nouvelle histoire de Kesys, un voyage en trois étapes : Ascent, Fall, The Beginning ; l'ascension, la chute, le début. Et l'on est vite happé par ces notes simples, qui n'ont pas besoin de saturation pour exprimer quelque chose de fort. Comme dans la vidéo de cette peinture qui prenait vie devant les yeux du spectateur, on voit des rajouts s'opérer, comme par magie, des couleurs se rajouter et se tordre sous l'effet miraculeux de l'instrument adapté. Un riff se répète, semble se bloquer sur Pillayar ? Il insiste sur une épreuve à surmonter, et le guitariste y reviendra encore, car il faut apprendre de ses difficultés, ou peaufiner un détail qui pourrait rendre la vie meilleure. Les couleurs deviennent vives, chaudes, forment de belles étincelles de vie sur l'écran noir des ténèbres, formant un nouveau paysage, une nouvelle forme de vie.

Puis un élément nouveau s'invite, la voix de Kerouac lui-même, le célèbre écrivain et penseur de la Beat Generation, dont une interview servira de trame de fond sur le morceau qui lui est dédié, et qui logiquement nous mènera sur Sa Route, celle de l'aventure, de la découverte insouciante après la descente aux enfers, un voyage fait d'inconnu qui nous promène en un fabuleux périple, ponctué de quelques accents jazz (cuivres et batterie feutrée).

La deuxième partie de l'album s'ouvre, avec cette inévitable chute qui nous attend, de même qu'une autre surprise, celle de la voix claire de Jeff, absente du premier album, et qui résonne de fort belle façon, presque abstraite et vaguement religieuse, sur le superbe et sombre Pray, parsemé d'accents de guitares plus marqués et rythmés. Et le chant va continuer, profond, un véritable chant cette fois-ci, plus un simple mantra, sur le très beau Why Does My Heart Beat So. Une interrogation lourde de sens, mais que chacun est amené à se poser, non pour se replier sur soi-même, voire s'anéantir, mais pour aller de l'avant, continuer.

Et nouveau changement dans l'ultime partie, intitulée The Beginning, où l'homme doit apprendre à renaître, ayant appris de ses erreurs. Orgueil. Punition Divine. Purgatoire et Renaissance. Dans le premier des deux morceaux qui composent ce final dantesque, on entend la voix de Jeff se tordre, rappelant les échos black de ses débuts, car lorsque l'on revient à la vie, cela se fait parfois dans la douleur. Il y a heureusement des notes heureuses de bourdons qui illuminent un peu d'espoir cette nouvelle épreuve. Mais rien n'est gagné avec le bien plus sombre Opening (car oui, chez Kesys, la fin est habilement vue comme le véritable commencement), où la voix se fait carrément menaçante, me rappelant parfois les vocaux terrifiants et théâtraux de Necroabyssious, de Varathron. Puis la voix disparaît, les notes s'étirent, se tordent de bruits étranges, ramenant à la vie moderne, l'artiste est en train de poser ses touches ultimes, laissant à l'auditeur le soin de se faire sa propre opinion une fois l'œuvre achevée.

Nouvelle invitation au voyage, Ascent - Fall, encore une fois, ne parlera pas à tout le monde. Il faut être ouvert d'esprit, et chercher dans la musique non un simple moment de détente (en cela, cet album peut amplement satisfaire cette recherche légitime), mais aussi un moyen de trouver un sens à cette vie qui prend ces derniers temps de si curieux méandres. Pour ma part, je suis une fois de plus fasciné par cette capacité à faire tant avec si peu. Kesys est comme une peinture de Jeff, notamment celles à l'huile, mes préférées. Elles contiennent peu, et pourtant, elles vous transportent et vous fascinent longtemps, pour peu que votre sensibilité y soit bien entendue prête.

A noter le beau mastering signé Mathis Delepierre. Et comme Kesys n'est pas le genre de personnage à stagner dans son coin, m'est avis que l'on va bientôt entendre parler de lui, avec encore de nouvelles touches pour illuminer le tableau !

Note : 09/10... car une fois que l'on s'est fait à la température de l'eau, qu'est ce que l'on y est bien !

Bandcamp, où comment trouver les deux albums !

 

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