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Alice Cooper, un album, une chanson - From The Inside (1978)

Publié le par Stéphane DELURE

Maurice L'Escargot a lamentablement échoué dans son enquête, en minable détective privé qu'il était (garder son public ? s'offrir une nouvelle couverture ?), et pour s'en remettre il en a vidé des litres et des litres d'alcool, jusqu'à vomir du sang régulièrement. Cela suffit à faire un temps ressortir Alice Cooper qui, sur le conseil de son entourage, choisit volontairement de rejoindre un centre l'aidant à lutter contre son addiction. Mais nous sommes en 1978 et les centres de désintox pour stars ne sont pas encore légion (même s'ils auraient à mon humble avis fait salle comble !). C'est ainsi qu'Alice se retrouva dans un endroit qu'il serait plus convenable de nommer asile, dans le sens refuge pour... aliénés en tout genre ! Bon, attention, ce n'était pas non plus le sordide asile d'Arkham, et comme vous pouvez le constater, le Cornell Medical Center possède même un certain charme indéniable.

N'empêche que notre artiste préféré y côtoya une sacrée foule de personnage, qui l'inspira et l'aida peut-être même à en sortir assez vite (3 mois seulement, entrecoupés d'une sortie pour filmer une apparition dans la comédie musicale inspirée de la célèbre œuvre des Beattles, Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band). Il n'en fallait pas plus pour réveiller l'artiste qui sommeillait dans l'ivrogne et les idées se mirent à entrer en fusion, trouvant dans l'oreille de Bernie Taupin, parolier d'Elton John mais surtout compagnon de beuverie du Hollywood Vampires, un parfait exutoire. Pour simplifier, Alice dut dire à Bernie : "Et si l'on faisait un album concept tournant autour de ce séjour en asile ? J'ai rempli des pages et des pages d'anecdotes, créé plusieurs personnages !" Bingo, et direction les studios après avoir annulé la tournée australienne du précédent album !

L'idée est tellement bonne qu'elle fera même l'objet d'une sortie sous forme de comics en 1979, dont je suis l'heureux possesseur, montrant un Alice Cooper croqué très avantageusement par Tom Sutton, comparse de Stan Lee spécialisé dans l'horreur façon Creepshow, avec Terry Austin à l'encrage. Je dis "avantageusement car Alice était squelettique à l'époque, soit très éloigné du personnage presque super héroïque et musclé qui apparaît dans ce Marvel Premiere.

Exit Bob Ezrin, et pour quelques années, celui-ci se dirigeant vers l'œuvre majeure de Pink Floyd, The Wall, et c'est à David Foster qu'est dévolu le rôle de se charger de la production, ce qui laisse bien des sueurs froides aux fans, Foster étant spécialisé dans les grandes sorties pop de l'époque ! Disons pour couper court qu'avec cet album, Alice terminait sa période pop entamée avec l'excellent Welcome To My Nightmare (oui, celui qui pour beaucoup reste le meilleur album de Cooper n'est assurément pas le plus rock, loin s'en faut !), et qu'il allait le faire de la plus étonnante des façons.

Premier signe rassurant, la pochette montre un Alice qui a enfin retrouvé son maquillage, avec cet effet astucieux piégeant dans ses iris les personnages qui vont se révéler dans ce curieux album. Avec une bonne loupe, vous pourrez y reconnaître une infirmière, un vétéran du Vietnam brisé à la Rambo, un doux dingue et quelque psychopathes romantiques. Deuxième indice pouvant séduire : la narration façon Alice d'un séjour en asile est déjà plus intéressante que celle d'un détective raté jouant sur une musique ne lui appartenant plus. Et puis il y a ces musiciens, ramenés de l'entourage d'Elton John, soit Bernie Taupin le parolier, Davey Johnston à la guitare et Dee Murray à la basse. Dick Wagner est toujours de la partie, mais ce n'est pas tout ! Un certain Steve Lukather s'invite à la joyeuse bande (oui, car franchement, la sortie de l'asile d'Alice a tout d'une fête !). Eh oui, le célèbre guitariste de Toto, qui était en train de forger le son de son propre groupe, en même temps que s'affirmer comme un sacré requin de studio (on lui prête 1500 participations entre 1978 et 1990, qui dit mieux !?!). Tout cela laisse tout de même saliver, et il est temps de se pencher sur la musique.

Alors oui, elle est toujours résolument pop, disons pour trancher AOR. La production est plus clean que jamais, exit le garage rock des débuts, place à la perfection en matière de son, chaque note, instrument, chœur, ligne de chant y brille par sa présence. Tout cela est sans doute trop clean pour les vrais rockers, mais Alice suivait sa route, et voulait aller jusqu'au bout. Il y a de la grandiloquence toujours, Foster n'ayant pas besoin d'être Ezrin pour y aller avec la louche, donnant à fond du piano et des chœurs too much. Mais c'est dans l'excès que le meilleur d'Alice se révèle et il va ici exploser, même si c'est dans un style qui n'est pas foncièrement le sien (et encore, cet avis est peut-être celui d'un fan du grand méchant Alice, car si le public avait suivi, qui sait de quoi la suite aurait été faite ?). 

La voix rassure, car même sur les premières notes très pop du titre éponyme, on retrouve enfin la voix éraillée d'Alice, une voix beaucoup plus présente, envahissante et surtout, habitée ! Alice a sans doute été très inspiré par son séjour, et par le biais de la scène strass et paillettes, secondé par cette basse toujours si importante chez l'artiste, ainsi que par une section rythmique au cordeau (même si l'on peut reprocher à l'effet reverb de la batterie de sonner pour le coup un peu trop artificielle) et des guitares laissant certes la vedette au chanteur mais toujours inspirées. 

Avec Wish I Were Born In Beverly Hills, on retrouve un rock et un entrain dignes du Alice Cooper Band. La basse y est magistrale et le rythme imparable, de même que l'entrain que communique Alice. A vrai dire, cela faisait bien longtemps que l'on n'avait pas entendu Vincent Furnier si enjoué ! Le riff de Serious est magistral, lançant Alice dans un galop effréné qui fait de ce titre le plus nerveux de la bande, avec toujours des paroles se moquant de lui-même : "all my life was a laugh and a joke, and a drink and a smoke and then I passed out on the floor". Voilà un titre qui aurait fait un excellent single, mais la Warner (probablement) a préféré mettre en avant la ballade, valeur sure selon eux depuis Only Women Bleed. How You Gonna See Me Now est certes un bon titre, dans la veine de ce qu'aurait pu chanter un Elton John, mais Alice reste Alice, et sur ce titre très beau il n'est jamais méchant, même si l'on ne peut que reconnaître qu'il chante effectivement très bien.

Une autre ballade étrange est présente sur l'album, Millie and Billie, sirupeux duo chanté avec Marcy Levy (qui accompagna Eric Clapton et rencontrée sur le tournage de la comédie musicale dédié aux Beatles et citée plus haut). Une chanson guimauve qui raconte l'histoire vraiment atroce d'un couple de déments chantant avec amour la torture et le meurtre à coups de ciseaux et de fusil d'un mari encombrant ! A noter les derniers accords de... scie électrique ! Du Alice en totale possession de ses moyens, comme sur le traditionnel final grandiloquent (un gimmick depuis Welcome) de Innmates (We're All Crazy), chanson surchargée de violons et de piano, gonflée par les chœurs dérangés des pensionnaires de l'asile, délicieuse surenchère d'Alice qui nous offre un pur moment de bonheur !

On sent également la patte de Toto sur un titre comme Nurse Rozetta (la quasi totalité du groupe est venue jouer ici), mais c'est bel et bien Alice, par son chant si particulier et enfin retrouvé, qui s'approprie le titre. Idem sur Veronika's Sake, titre enlevé par le jeu si typique de Lukather, marqué là encore d'une basse énorme et sur lequel Alice nous invite à la danse irrésistiblement, allant jusqu'à nous toucher émotionnellement sur ce pont fragile nous reliant au final grandiloquant où tout le monde a logiquement envie de taper dan ses mains. 

Mais le morceau qui garde pour moi un parfum si particulier reste la semi-ballade The Quiet Room. Petite intro au piano, chœurs très pop, et Alice chante de façon claire, comme à la grande époque de Goes To Hell. C'est propre et il faut bien avouer qu'Alice a un bien bel organe. Puis soudain, le monstre se réveille et la voix s'éraille, se fait agressive, nous racontant de façon très suggestive le triste parcours l'ayant mené dans cette chambre capitonnée, nous montrant ces murs blancs et absorbants l'empêchant de se suicider, ces murs dans lesquels il a tant pensé, jusqu'à ce que les murs de ce lieu en viennent à en savoir sur lui plus que sa propre femme. Alice remet son mascara, il se dévoile ici, se délivre aussi, la camisole lui collant à la peau, celle de l'artiste à la double facette, du chanteur schizophrène, mais aussi de l'homme qui a souffert et lutté. Un titre qui aurait pu passer de façon anodine si un autre que ce formidable interprète n'était passé par là, donnant tout de son talent dans ce titre simple et prenant, reflet de celui qu'il était alors.

Alice a obtenu son certificat de folie (un gadget vendu avec l'album à l'époque, heureux collector aujourd'hui !) et quitte sa période "hollywoodienne". Sa rencontre avec Bernie Taupin aura été une réussite artistique à défaut d'être commerciale, même si elle marque pour le chanteur une autre descente vers des enfers bien plus sombres, le parolier ayant initié Alice à un vice plus dangereux encore, celui de l'héroïne. Mais cela est une autre histoire dont nous parlerons plus tard, car pour ma part, je retourne sans complexe au sein de cet album que je considère toujours comme l'un de mes préférés de ce fils de pasteur décidément si particulier, horrible en même temps qu'attachant, aussi délirant qu'intelligent ! 

 

 

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