Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Arnaud Delalande - Le Piège de Lovecraft (2014)

Publié le par Stéphane DELURE

 

Arnaud Delalande... Le Piège... de... Lovecraft... Le Livre Qui Rend Fou... Grasset... 
Présentation en cassure, presque non euclidienne, qui rend hommage à l'illustration de couverture signée Rubberball / Mike Kemp, labyrinthe bleu et blanc pensé sur le modèle de l'expressionnisme allemand du début du XXème siècle. Et une illustration de première importance car elle va structurer - ou peut-être déstructurer - le contenu et sera d'ailleurs mentionnée dans l'ouvrage. Quand la forme devient fond.
Une énigme. Un piège. Lovecraft comme possible Minotaure. Un livre qui rend fou, probablement le Necronomicon. Voilà autant d'arguments qui ne peuvent qu'attirer le lecteur avide d'écrits et d'horreurs tentaculaires dont je suis. Pour les connaisseurs, l'auteur, le français Arnaud Delalande, a livré un intéressant thriller ésotérique, Le Piège de Dante, traduit en 20 langues et se déroulant dans la Venise des Lumières, fin du XVIIIème siècle. Prometteur.
Alors on ouvre la page de ce livre qui rend fou, pour se retrouver dans un lieu commun, un asile de fous. Un homme, évidemment le héros, s'adresse à Michel Houellebecq, et comme nous sommes en 2013, il communique avec lui par mail. Ses premiers mots sont "Ceci n'est pas un canular". Rien que de très banal pour une oeuvre mettant Lovecraft dans son titre, et l'on peut d'ores et déjà s'attendre à un pastiche commun, un hommage de plus. Sauf que l'ouvrage pèse 360 pages et n'a rien d'une nouvelle ! Alors il va falloir tenir la route, dépasser les poncifs. Et Arnaud Delalande va pour partie y réussir. Pour partie seulement. Car la tâche était rude, trop sans doute. Et peut-être tout simplement que la folie a bel et bien saisi l'auteur avant qu'il ne puisse taper le mot FIN.
Le synopsis ? Un étudiant québécois fait la connaissance d'un collègue étrange, un peu à part, un brin gothique, et qu'il se prend à vouloir aider. Car il sent la détresse, le mal-être. Il sent aussi que quelque chose cloche dans l'histoire de ce jeune homme. Il va découvrir un jeu informatique, La Secte de Cthulhu, des comportements étranges, et va se montrer curieux, pour notre plus grand plaisir. Et au fil des découvertes, il va basculer dans l'horreur. Et c'est ici que l'on quitte la trajectoire habituelle des pastiches lovecraftiens, car même si notre héros - doté d'une (brève) histoire, d'un père et d'une femme dont il attend un enfant, ce qui change des canons du Maître de Providence - découvre une cabane au fond des bois, dont le sous-sol est empli d'horreurs et d'évidentes références, il va se trouver confronter à l'Abomination par le biais d'un crime de masse, son "ami" faisant un massacre au sein du campus avec une arme à feu, juste avant de s'ôter la vie, triste actualité devenue si commune en Amérique du Nord. Voilà qui nous éloigne de l'univers de Lovecraft !
Dévoré par la curiosité, le jeune étudiant va débuter une enquête l'amenant vite à découvrir le monde de l'écrivain de Providence, et à s'interroger sur la réalité du terrible Necronomicon... ou peut-être d'un autre livre maudit, somme de tous les autres.
Dans un style un peu âpre, l'auteur va nous inviter à suivre son héros sur le schéma d'un thriller parsemé de références à Lovecraft, jouant au célèbre "et si tout était vrai ?" On décortique les chapitres, les uns après les autres, suivant une sorte de Da Vinci Code volontairement dépourvu d'action, l'horreur lui étant préférée. Peu d'horreur en fin de compte. Mais des références. Et elles sont légions. Trop, beaucoup trop présentes, alourdissant le propos inutilement, car l'amateur de Lovecraft sait déjà tout cela. Et l'on a ainsi la désagréable impression que l'auteur nous étale sa culture, une culture que finalement nous possédons aussi, pour peu que nous soyons comme lui un "initié". Du roman on bascule alors dans l'essai, et peut-être avons nous droit ici à un nouveau genre, hybride mêlant les deux aspects, la fiction et son analyse. 
Puis des retournements de situation inattendus nous tombent dessus. Le héros croise en plein Québec un panneau Arkham, et frôle plus d'une fois ce qui ressemble fort à une dimension parallèle. L'intérêt est soudain relevé, et l'on croise tout d'un coup Stephen King, que le héros cherchait justement, un King trouvé à... Castle Rock, et dont le chien, un gigantesque Saint-Bernard, se nomme Cujo. Un intéressant échange se fait avec le maître du fantastique moderne, celui de l'esprit, dans sa propre demeure, fourmillant de détails. Mais cet échange se terminera d'une façon inattendue, bizarre. Echanges téléphoniques avec son père et sa compagne, avec des détails qui font se demander au héros s'ils sont bien qui ils prétendent être, ce qui rappelle d'autres écrits lovecraftiens. La paranoïa. Le complot des Anciens. Puis un ultime guide, dont je terrai volontairement le nom afin de maintenir la surprise du lecteur, va mener notre héros vers l'inexorable fin de sa quête, au 454 Angell Street, maison où le jeune Lovecraft vit grandir son imaginaire, au travers des rayonnages de la bibliothèque de son grand-père,... maison détruite en 1961.
L'ultime confrontation confirme ce que nous pensions depuis un moment, avec ces références à Borges et son Livre de Sable, à d'autres auteurs ayant créé des mondes angoissants à partir de leur plume, une plume de métal ou d'oie trempée dans le sang de leur peur : le Piège de Lovecraft est une mise en abyme, nous entraînant dans un dédale impressionnant nous amenant à réfléchir sur le pouvoir de l'écrit, sur ce qui fait qu'un dieu n'est autre que celui qui tient la plume, non celui dont il parle. Par peur peut-être, l'auteur n'a hélas pas eu l'audace de montrer du doigt le danger de ces écrits qui au fil de l'histoire ont été mal interprétés, ou interprétés à la convenance de leurs lecteurs : la Bible, Le Coran, la Torah... Toujours pour préserver la surprise que nous réserve le chapitre intitulé Celui Derrière la Porte, je me refuse à vous en dire trop (une véritable torture pour moi !), car ce serait détruire une mécanique qui reste tout de même bien huilée, même si une certaine maladresse ne peut s'empêcher de s'inviter lors de la chute finale. Peut-être l'échec inévitable du pensum confronté à l'efficace fiction d'épouvante. A la décharge d'Arnaud Delalande, il faut dire que son approche était difficile, et qu'il a réussi un remarquable exploit : trouver la parade à ce qui fonctionne le plus mal dans les écrits lovecraftiens, cet improbable moment où le héros, confronté à l'Indicible et à une mort certaine et forcément atroce, ne peut s'empêcher de griffonner ses derniers mots sur le papier. Ici, c'est le livre qui prend le pouvoir, et se met de lui-même à écrire le tragique et inévitable destin, sans que rien ne puisse l'en empêcher. 
La lecture se fait d'un trait, par curiosité. Difficile après tout de ne pas trouver de l'intérêt et de l'efficacité à ce roman. Mais à trop étaler ses références - et il y en a des pages ! -, à diluer l'intrigue au fil d'un style un peu aride, l'auteur passe à côté d'une oeuvre qui aurait pu être majeure. Mais peut-être est-ce après tout cela le fameux Piège de Lovecraft ?

 

Commenter cet article